24 octobre 2022Seven Summits, Reste du monde, Alpinisme
mont Kilimandjaro à 5 895 m

Parmi les « Seven Summits », les sept plus hauts sommets des continents, le mont Kilimandjaro occupe une place à part : Hans Meyer, homme de science plutôt qu’alpiniste, le gravit pour la première fois en 1889. Avant tout pour l’honneur de son pays et de son Empereur : l’Allemagne de Frédéric Guillaume II, alors dirigée par son chancelier, le prince Otto von Bismarck. Pur fruit du colonialisme de l’époque, cette première ascension demeure méconnue aux yeux des Français. Et pour cause, l’Allemagne de Bismarck étant alors notre ennemi juré, pas question de mettre en avant cette réussite pourtant magistrale.

 

1871 : l’Empire allemand voit le jour

Dans la galerie des Glaces du château de Versailles, le 18 janvier 1871, le roi de Prusse Guillaume 1er, vainqueur des armées de Napoléon III, se fait proclamer "empereur germanique" et entérine un nouvel Etat-nation, l'Empire allemand. L’époque coloniale bat son plein. En Afrique, terre de tous les possibles, l’Angleterre et la France se taillent la part du lion. Le jeune Empire allemand n’a de cesse de les concurrencer.


1871, la proclamation de l'empereur germanique dans la galerie des Glaces au château de Versailles 
© Magnolia box

 

Des neiges éternelles à l'équateur

Les missionnaires, premiers artisans du colonialisme, parcourent l’Afrique depuis le milieu du XIXe siècle, dans l’espoir d’enrayer la progression de l’islam. Dès 1848, deux pasteurs allemands, Ludwig Krapf et Johannes Rebmann, signalent avoir pu observer dans les plaines, au nord du sultanat de Zanzibar, une montagne étincelante, localement appelée Kilimansharo. Le nom va rester. 


La caravane des pasteurs Krapf et Rebmann dans les plaines au pied du Kilimandjaro
© Église évangélique du Württemberg

Quelques mois plus tard, en 1849, Rebmann s’approche de la montagne et réalise que le sommet est en fait couvert de glaciers. Nouvelle accueillie avec scepticisme par la communauté internationale : de la neige au niveau de l'équateur ? Pour la Royal Geographical Society : impossible. Chacun sait d’ailleurs que la malaria sévit dans ces plaines et entraîne des hallucinations ! Pour corroborer les dires de Rebmann, Krapf rapporte lui aussi, fin décembre 1849, la présence de neiges éternelles au sommet du mont Kibo. Altitude alors estimée pour ce que l’on sait désormais être un ancien volcan : 6 100 mètres. 

 

Le Tanganyika, ancêtre de la Tanzanie

En ces temps de concurrence coloniale acharnée, sur fonds de lutte contre la traite des noirs, commerce sordide dont le maître d’œuvre n’est autre que le chef suprême de Zanzibar, les Empires allemand et britannique trouvent un accord au détriment du Sultan. L’envoi en août 1885, par Bismarck, de cinq navires de guerre qui pointent leurs canons sur les murailles de Zanzibar, constitue alors un argument de poids. Aux Anglais, le Kenya et sa montagne. Aux Allemands, le Tanganyika avec le mont Kibo, ainsi dénommé par la tribu des Jaggas qui vit à son pied. 


Jeunes filles de l’ethnie jagga, au pied du Kilimandjaro © Hans Meyer

 

Tempête de neige à l’équateur, un vrai conte pour enfants

En 1862, le baron von der Decken s’élève sur les pentes de la montagne. Lui aussi évalue l’altitude finale à presque 6 000 mètres. À 4 300 mètres, une tempête de neige interrompt l’ascension. À son retour, Decken est vivement pris à partie par un  géographe irlandais Mr Desborough Cooley. Alors le baron dit qu'il a neigé pendant la nuit, s'exclame-t-il. En décembre, avec le soleil à la verticale ! (…) Cette description d'une tempête de neige à l'équateur pendant la saison la plus chaude de l'année, et à une altitude d’à peine quatre mille mètres est trop évidemment un conte pour enfants. 

Bien mal lui en prit. Enfin convaincue, la Royal Geographical Society, en décernant au baron sa prestigieuse médaille d’or, met fin à la polémique. Et si le ridicule tuait, Cooley n'aurait pas survécu !

 

Pour Hans Meyer, atteindre le sommet du Kilimandjaro est un devoir national

Hans Meyer, un jeune scientifique allemand passionné de géographie et de géologie, se lance à la conquête du Kilimandjaro. En 1887, à l’âge de 29 ans, il compte déjà à son actif un nombre impressionnant de voyages : Himalaya, Inde du Sud, Ceylan, Java, Philippines, Chine, Japon, Mexique et Californie. Attiré par l’Afrique de l’Est, il s’attache en particulier à l’ascension du Kilimandjaro. Meyer : Le Kilimandjaro a été découvert par un Allemand, le missionnaire Rebmann ; il a d'abord été exploré par un Allemand — le baron von der Decken ; et il me semblait presque un devoir national qu'un Allemand soit le premier à fouler le sommet de cette montagne, probablement la plus haute d'Afrique, et certainement la plus haute de l'Empire allemand. Cette première tentative, menée depuis le village de Marangu sur le versant sud-est, le conduit au vaste plateau qui sépare le mont Mawenzi (5 148 m) du Kibo. À 5 500 mètres d’altitude, il bute sur l’imposante calotte glaciaire qui couvre le sommet de ce dernier. Dépourvu de matériel d’alpinisme, il doit renoncer.  


Hans Meyer, géographe et géologue allemand, le premier au sommet du mont Kilimandjaro.
On voit bien l’imposante calotte de glace sommitale © Kilimandjaro Wiki

 

La seconde expédition tourne à la déroute

Sitôt rentré en Europe, il monte une seconde expédition. En juillet 1888, il quitte Zanzibar accompagné de 230 porteurs. Ayant pris de l’avance sur ses porteurs, il s’aperçoit que ces derniers ont fait demi-tour, sur ordre du sultan de Zanzibar qui cherche à mater une révolte. 

En effet, un soulèvement a éclaté sur la côte, à l’encontre de la Société d’Afrique est-allemande. Après de multiples péripéties, Meyers et son compagnon finissent par être faits prisonniers par les rebelles et seul le versement d’une rançon élevée leur permet sans doute d’échapper à un sort plus funeste. Retour à la case départ.


L’embauche des porteurs, un moment d’intenses négociation © Hans Meyer

 

Otto Ehlers prétend avoir conquis le sommet

La même année, un autre ressortissant allemand tente sa chance sur les pentes du Kilimandjaro : Otto Ehlers, représentant de la Société d’Afrique est-allemande. À son retour, Ehlers publie un récit haut en couleurs, se vantant d’avoir atteint le sommet. Il n'y avait aucune trace de cratère, écrit-il, et la glace formait une série de douces ondulations recouvertes d'une couche de neige fraîchement tombée. L'altitude atteinte ne pouvait être inférieure à 6 000 mètres. Très vite, sa parole est mise en doute et il finit par reconnaître sa forfaiture. 

 

Jamais deux sans trois

Membre peu actif du Club alpin allemand, Hans Meyer entend bien sûr parler des célébrités alpines de l’époque, dont un certain Ludwig Purtscheller. Autrichien et alpiniste de grande classe, Purtscheller s’attire les bonnes grâces de Meyers, en démontrant que le récit de Otto Ehlers est totalement fantaisiste. Il propose à Meyers de l’accompagner lors de sa prochaine expédition. Offre immédiatement acceptée. 

 

Soudain, un vaste cratère s’ouvre sous leurs pieds

Cette fois, la chance lui sourit. Le 3 octobre 1889, les voici enfin au pied de la calotte glaciaire, devant une pente de glace (et non pas de neige comme ils l’espéraient), inclinée à 35° et estimée à 60 mètres d’épaisseur. Meyers : À 10 h 30, après un enthousiaste  « En avant ! », commence un travail acharné de taille de marches, dans une glace dure comme du verre. Chaque pas nécessite une vingtaine de coups de piolet. Effort épuisant à cette altitude. 

Si Purtscheller dispose d’une paire de crampons, Meyers doit se contenter de ses chaussures cloutées. Toutefois, ils s’encordent, pour une illusoire sécurité. À 14 heures, les voici près du sommet. Meyers, encore : Fébrilement nous accomplissons les derniers pas. Enfin le secret du Kibo se dévoile devant nous. À nos pieds, s'ouvre un gigantesque cratère aux parois escarpées, occupant tout le sommet de la montagne. La prétendue victoire d’Otto Ehlers n’était bien que pure affabulation. 

Mais à leur grande déception, le point le plus élevé de la montagne se trouve de l’autre côté du cratère, et nécessite sans doute encore deux heures d’efforts. Sagement, ils redescendent, bien décidés à revenir au plus vite. 

 

Pic Kaiser Wilhelm, le point le plus élevé d'Afrique et de l'Empire allemand

Le 6 octobre, à 8 h 45, ils sont de retour sur les bords du cratère. Deux heures d’une marche harassante dans l’air raréfié leur sont nécessaires pour atteindre la base des trois dents qui forment le sommet. Ils se hissent péniblement entre les éboulis qui couvrent les flancs de ces trois pointes. 

Meyers à nouveau : [À 31 ans], Je fus le premier à poser le pied sur le point culminant, atteint à dix heures et demie. Sortant un petit drapeau allemand, apporté avec moi à cet effet, je l'ai planté sur le sommet de lave en poussant trois hourras retentissants. En vertu du droit conféré au premier ascensionniste, j’ai baptisé ce point le plus élevé d’Afrique : la pointe Kaiser Wilhelm. 

Ludwig Purtscheller lui, fête son quarantième anniversaire avec cet éclatant succès. 


Hans Meyer et Ludwig Purtscheller au sommet du pic Uhuru (Kaiser Wilhem Spitze) © CMK

 

Voir les neiges du Kilimandjaro, pour combien de temps encore ?

L’altitude sera finalement rectifiée à 5 895 mètres et, depuis la fin de la période coloniale, le sommet porte un nom local, le pic Uhuru. 


Le mont Mawenzi vu de la selle qui le sépare du Kibo © Hans Meyer

Gravir le Kilimandjaro demeure un moment inoubliable. La vue depuis le cratère vers le Mawenzi entouré de sa mer de nuages, rappelle que l’on se trouve sur sur le toit de l’Afrique. 

Mais le témoignage de l’ascension de Meyers et de Purtscheller vient nous rappeler la rapidité avec laquelle le changement climatique agit sur les glaciers tropicaux. 


Le versant sud actuellement

Découvrez ci-dessous une animation présentant l'ascension du Kilimandjaro :

Texte et animation de Didier Mille.

 

Participez au challenge des Seven Summits :

 

Retour sur la conquête des montagnes des Seven Summits :

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