17 janvier 2023Seven Summits, Reste du monde, Alpinisme
La pyramide Carstensz

Noyée dans les brumes équatoriales, la pyramide de Carstensz, 4 884 mètres d’altitude, située en Nouvelle-Guinée indonésienne (Irian Jaya), a été gravie seulement en 1962. Connue depuis le XVIIe siècle, protégée par une barrière presque inaccessible de forêt vierge, elle a longtemps résisté aux assauts des Européens. Point culminant de l’Océanie, son ascension vient, pour beaucoup, clore le challenge des Seven Summits, les sept plus hauts sommets des continents. Retour sur l’histoire de l’exploration et de la conquête du Puncak Jaya.

© Jean-Luc Rigaux La Pyramide de Carstensz, versant nord
La pyramide de Carstensz, versant nord © Jean-Luc Rigaux

 

La découverte de la pyramide de Carstensz

Février 1623. Terrorisés, les hommes blancs s’enfuient sur la plage. Surgis de la forêt, de petits hommes impitoyables, armés d’arcs immenses, le visage peinturluré, un os en travers du nez ou des lèvres, se précipitent sur eux. Les crânes éclatent comme des calebasses, les blessés titubent sous la morsure des flèches acérées. En quelques minutes, la partie de pêche projetée par le capitaine de l’Arhem tourne à la tragédie. Bon an, mal an, des quinze matelots et officiers embarqués sur la pinasse, neuf arrivent à regagner le bord. Parmi eux, le capitaine grièvement blessé. Il meurt 48 heures plus tard. Les vaincus, abandonnés sur la plage, serviront très probablement de festin à des Papous déjà renommés pour leur anthropophagie. 

© Jean-Luc Rigaux


© Jean-Luc Rigaux

Les Papous mangeaient parfois le corps de leur grand ennemi, pour s’approprier sa force. L'imaginaire occidental a largement exagéré ces rites anthropophages, car, dans l'ensemble, ils se montraient plutôt craintifs et respectueux des blancs qui, eux, les ont massacrés sans la moindre hésitation. 

 

Quelques heures plus tôt

Les deux navires dirigés par l’explorateur néerlandais Jan Carstensz, l’Arhem et la Pera, naviguent dans la mer d’Arafura, le long de la côte sud-ouest de l'île alors dénommée Nouvelle-Guinée et découverte au XVIe siècle par les navigateurs portugais et espagnols en route vers le Pacifique. Les Européens n’y ont pas encore vraiment posé le pied. Le 11 février, le capitaine de l’Arhem prend l'initiative de débarquer avec une quinzaine d’hommes, sans attendre l'autorisation du commandant, Jan Carstensz. La première rencontre avec les Papous tourne mal. Le capitaine de l’Arhem meurt des suites de ses blessures, manquant ainsi le « clou » du voyage. 

Le 16 février, les deux navires jettent l’ancre dans une baie de la côte sud. Carstensz : « Nous étions à environ trois kilomètres de la terre. À une distance estimée à environ 15 kilomètres dans l'intérieur des terres, nous avons vu une très haute chaîne de montagnes, blanches de neige. Vue excessivement singulière compte tenu de notre proximité avec l’équinoxe ». La pyramide de Carstensz vient d’être découverte, l’un des rares sommets enneigés sous une latitude équatorienne. À son retour, le récit de Jan Carstensz est bien évidemment accueilli avec incrédulité. Quant à la Papouasie, elle tirerait son nom d’un mot malais faisant référence aux cheveux crépus des Mélanésiens. 

 

L’expédition Wollaston

Il faudra attendre le début du XXe siècle pour voir les Européens s’intéresser sérieusement à ces Snow Moutains dont l’existence a finalement bien été reconnue. Alexander Frederick Richmond « Sandy » Wollaston, explorateur depuis l’âge de 23 ans et alpiniste occasionnel, est un habitué des montagnes équatoriales, de leur climat et de leur faune. Tout à la fois botaniste, entomologiste et médecin, il participe en 1905 à l'expédition organisée par le British Museum dans les monts Ruwenzori en Afrique de l’Ouest à la frontière de l’Ouganda et du Congo belge. Ce qui lui vaut d’être retenu par le Museum pour se joindre à l’expédition de 1910-1911 en Nouvelle-Guinée. Objectif : s’approcher de la chaîne des Dungudungu ou Snow Mountains Range. Six naturalistes, sous le commandement d’un lieutenant néerlandais et d’une cohorte de soldats, 60 bagnards et une centaine de coolies envoyés spécialement des Indes pour l’occasion affrontent de terribles conditions. Partis de la Mimika Coast (côte sud), les fièvres décimant les hommes un à un, ils luttent pendant des mois pour approcher la montagne. Après une année entière de misères et de tragédies, ils doivent abandonner. 

©Jean-Luc Rigaux
L’étui pénien, véritable ornement, est caractéristique des Papous de Nouvelle-Guinée © Jean-Luc Rigaux

En 1912, Wollaston est de retour. Cette fois, des guides dayaks, engagés depuis la proche île de Bornéo, sont à ses côtés. Plus robustes que les locaux, efficaces, ils les aident à parvenir au pied de la montagne… en 183 jours depuis la Mimika Coast ! L’ascension commence. Ils improvisent des cordes en rotin ! Wollaston : « Le poids des hommes entraîne la végétation qui glisse sur les roches lisses (…) peut s’en faudrait pour provoquer une avalanche. » Plus tard : « Nous avons dû faire un pont de fortune à l’aide d’un jeune arbre jeté de rocher en rocher, souple comme une canne à pêche… ». Mais ils gagnent du terrain, prennent pied sur la neige. « Le Carstensz se dressait juste au-dessus de nos têtes, à portée de main. Mais nous étions à la mi-journée, trop tard pour aller plus loin. » Ils rebroussent chemin. Leur instrument de mesure indique 4 600 mètres. Au retour, Wollaston et ses guides dayaks descendent la rivière dans un canoë de fortune. Ils versent dans un rapide. Wollaston échappe de justesse à la noyade. Fin de l’histoire. 


Wollaston, 37 ans en 1912, lors de sa première expédition en Nouvelle-Guinée © Nicolas Wollaston

 

L’or et le cuivre : une malédiction pour les Papous

Entre 1920 et 1930, environ un million d'autochtones survivent sur les hauts plateaux de Nouvelle-Guinée. Les conditions sont proches du néolithique, de l’âge de pierre précisément. Ils ne connaissent ni le fer, ni la roue. Le monde extérieur ignore presque tout de leur existence. Les premiers Européens à les approcher pendant de longs mois sont des prospecteurs d’or, venus de la proche Australie. 


Jusqu’en 1960, les seuls outils connus proviennent de la taille des pierres © Heinrich Harrer

En 1926, les premiers gisements d’or sont découverts. S’ensuit une véritable ruée vers l’or, qui verra les Papous honteusement exploités pour extraire le minerai qui rend fou. Ce ne sera que le début de leur infortune. Plus tard, le cuivre viendra. Triste avantage pour les alpinistes : pour exploiter ces richesses, on construit des pistes d’atterrissage de fortune dans la jungle qui permettent d’accéder plus aisément aux hauts plateaux. 


Michel Leahy, l’un des plus célèbres prospecteurs d’or dans les années 30

 

1936 : trois Bataves au sommet du pic secondaire

Au début des années 30, Igor Sikorsky, génial ingénieur ukrainien émigré aux USA, met au point un hydravion, le Sikorski S-38, capable d’effectuer des vols à très basse altitude. En 1936, trois scientifiques, mandatés par la Royal Netherlands Geographical Society pour explorer la chaîne des Dungudungu, utilisent cette merveille de l’aéronautique.  


Le Sikorski S-38 parfait pour les vols en Nouvelle-Guinée © Aviadéjàvu

Dans l’équipe, un Français : le géologue Jean-Jacques Dozy. Les Papous ne sont pas près d’oublier son nom. Les vols de reconnaissance permettent de trouver une voie d’accès beaucoup plus courte que celle utilisée précédemment au départ de la lointaine Mimika Coast. Et l’hydravion apporte le fret en quantité presque illimitée. En 57 jours d’approche, les voici à pied d’œuvre. Ils gravissent le dôme neigeux évident, le Nga Pulu dont l’altitude culmine à 4 862 mètres. Ils sont certains d’avoir atteint le point culminant de la Papouasie. Victoire ! Enfin presque… Car l’année suivante, des calculs de triangulation précis révèlent que le sommet rocheux sur le versant opposé de la vallée, atteint 4 884 m, soit 24 mètres plus haut. Tout est à refaire. Mais Dozy, durant l'expédition, a réalisé de nombreux prélèvements. À proximité de la montagne, il a découvert un gisement de cuivre d’une teneur maximale de 4 % de minerai pur. La teneur habituelle varie entre 0,4 et 1 %. L’habitat naturel et fragile des Papous ne fera pas le poids face à ce gigantesque gisement. 


Freeport, la sixième plus grande mine à ciel ouvert du monde. Exploitée à partir de 1963 pour l’extraction de l’or et du cuivre © JungleKey

 

Heinrich Harrer : le précepteur du dalaï lama au sommet de la pyramide de Carstensz

Connu en France pour son livre Sept ans d’aventures au Tibet, l’Autrichien Heinrich Harrer s’octroie une belle victoire. Le 13 février 1962, à 14 heures, il foule la cime du sommet principal du Carstensz, avec ses trois compagnons, dont l'histoire n’a pas conservé la mémoire. À tort. A minima pour le plus jeune d’entre eux, le Néo-Zélandais Philip Temple sans lequel l’ascension n’aurait sans doute pas connu le succès. En 1961, une expédition néo-zélandaise menée par Colin Putt avait vainement tenté d’accéder à la montagne. Les difficultés logistiques aboutirent à un échec. Harrer fait appel à Philip Temple, l’un des participants dont l’expérience peut lui être précieuse. Ils partent de Hollandia sur la côte nord, pour rejoindre en avion Ilaga à l’est de la pyramide de Carstensz. Le 2 février, avec leurs porteurs de l’ethnie dani, ils traversent un col à 4 500 mètres, qu’ils nomment le New Zealand Pass, en l’honneur de leurs prédécesseurs. En possession de photos prises lors de la tentative de 1936, Harrer est effaré par le recul glaciaire : 500 mètres de perdus. 700 mètres pour le glacier de Meren, aperçu par Jan Carstensz en 1623. 


La pyramide embrumée © Heinrich Harrer

Le 11 février, pataugeant dans une neige lourde et profonde, ils réalisent la seconde ascension du Nga Pulu. Le 13, ils lancent la tentative finale sur la pyramide. Quelques passages d’escalade sérieux s’opposent à eux, mais leur expérience de l’alpinisme leur permet de les gravir sans mal. Arrivés sur l’arête, ils franchissent plusieurs ressauts sur une distance d’un demi-kilomètre. Harrer : « Le sommet est un étroit cône de neige sur lequel nous pouvions nous tenir à quatre. Nous avons accroché nos fanions respectifs. Celui de la Hollande, de la Papouasie, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et, enfin, de l’Autriche. » 

 
Face nord de la pyramide de Carstensz © Heinrich Harrer


© Jean-Luc Rigaux

Aujourd’hui, l’avion permet de rejoindre facilement Ilaga, point de départ du trekking pour se rendre à la pyramide de Carstensz. 

 

La première française

Le 6 janvier 1979, les guides de haute montagne Bernard Domenech et Jean Fabre sont les premiers Français à gravir la pyramide de Carstensz. Leur expédition de 45 jours, admirablement racontée avec un humour caustique par Jean Fabre, a été réalisée alors que le gouvernement indonésien menait une véritable guerre d’extermination envers les Papous. Le récit, entre péripéties administratives et désillusions sur  « l’enfer vert » ne manque pas de sel. À lire sans retenue, que vous soyez candidat pour le Carstensz ou pas. 

 

Jean Pierre Frachon, l’homme des Seven Summits gaulois

Le 27 novembre 1991, Jean-Pierre Frachon et le photographe Jean-Luc Rigaux atteignent à leur tour le sommet. Avec ce succès, Jean-Pierre Frachon est le premier Français à réussir le challenge des Seven summits et le 3° à l’échelle de la planète. 


Jean-Luc au retour de l’ascension © Jean-Luc Rigaux

 

Une toponymie à géométrie variable

La pyramide de Carstensz porte différents noms, témoins de l’histoire mouvementée de la Nouvelle-Guinée. D’une part, Cartenzpiramide en néerlandais, en l’honneur du navigateur Jan Carstenszoom, premier à l’avoir aperçue. En 1949, à l’indépendance de l’Indonésie, la partie occidentale de l’île reste sous contrôle néerlandais, avant d’être intégrée à l’Indonésie en 1963. La montagne est alors rebaptisée Puncak Soekarno en l’honneur du premier président indonésien. Mais les communistes adoptent le nom de Puncak Jaya (pic de la Victoire). Les Papous l’appellent Dungudungu (la montagne) et son voisin enneigé Namangkawee (flèche blanche). 

Texte de Didier Mille.

 

Participez au challenge des Seven Summits :

 

Retour sur la conquête des montagnes des Seven Summits :

 

Bibliographie :

Ascension de la pyramide Carstenz et descente en rappel

Papouasie

Ascension de la pyramide Carstensz à 4884 mètres en Papouasie

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