07 juin 2022Seven Summits, Régions polaires, Alpinisme
Ascension du mont Denali en Alaska

Mardi 31 mai 2022 à 17h15, un groupe composé de quatre personnes dont Éric Bonnem, fondateur de Secret Planet et Expeditions Unlimited, atteignait le sommet du mont Denali à 6 190 mètres. Une expédition sauvage et belle sur laquelle nous reviendrons prochainement, et qui nous a donné l'envie de replonger dans l'histoire des premiers alpinistes à avoir foulé cette superbe montagne près de 110 ans plus tôt, dans des conditions autrement plus héroïques ! Mont McKinley… Denali. La plus haute montagne d’Amérique du Nord, qui domine les territoires glacés du Yukon, a connu une histoire tumultueuse. Contrairement à la plupart des grands sommets, les premiers hommes à fouler sa cime n’étaient pas des alpinistes émérites, mais d’humbles prospecteurs, menés par un prêtre animé d’une foi mystique. Walter Harper, un métis de sang indien, Roger Tatum, Harry Karstens et le prêtre Hudson Stuck n’ont pas hésité, malgré leur manque d’expérience de la montagne, à affronter le géant de l’Amérique du Nord. Retour sur la conquête du « toit de l’Amérique du Nord ». 

 

Alaska, terre de Russie

En 1794, alors âgé de 37 ans, le capitaine Georges Vancouver au commandement de deux imposants voiliers de la Royal Navy, remonte les eaux russes du golfe de Cook, au fond duquel sera établie la ville de Anchorage. À son grand étonnement, une ligne de « montagnes de hauteur prodigieuse »  barre l’horizon. À la recherche du mythique passage du Nord-Ouest, Vancouver ne se préoccupe guère d’en évaluer la hauteur : ces terres inconnues, propriétés du « tsar de toutes les Russies », devront attendre 1867 pour changer de mains et constituer alors le dernier État de l’Union des États-Unis d’Amérique.

En 1878, deux trappeurs, Alfred Mayo et Arthur Harper, s'enfoncent sur 480 kilomètres à l’intérieur des terres. À leur retour, ils annoncent avoir découvert de l’or. Ruée immédiate. Mais les prospecteurs s’intéressent aux rivières, pas aux montagnes. William Dickey, un universitaire parti en 1896 à la découverte des territoires du Grand Nord, est le premier à évaluer l’altitude de la montagne que les Indiens vivant au pied nomment Denali (la grande montagne) : 6 096 mètres. Très proche de la mesure actuelle. De retour à la civilisation, Deckey apprend alors l’élection du sénateur de l’Ohio, William McKinley, en tant que 25e président des États-Unis. En son honneur, Deckey nomme la montagne la plus haute du continent nord-américain « mont McKinley ».

Nommé, mesuré, reste à le gravir…

 

Frederick Cook, faussaire impénitent

Plusieurs prospecteurs explorent les alentours du McKinley. Certains avec des velléités de s’élever sur ses pentes. En 1903, à 38 ans, Frederick Cook, médecin de son état, se lance dans l’aventure : il veut être le premier à gravir le point culminant des États Unis d’Amérique. Il entreprend le versant sud, le plus facile à atteindre depuis Anchorage, mais aussi le plus escarpé. Il longe le massif sur 160 kilomètres, sans trouver la moindre faille. 

Frédérick Cook
Frédérick Cook, faussaire du Denali et du pôle Nord ! 

Trois ans plus tard, nouvelle tentative. Cette fois, il clame victoire et annonce être arrivé au sommet… par le versant sud avec, pour tout compagnon le dernier jour, Ed Barrill. Mais son récit présente trop d’incohérences. Acceptée à New York, sa version est fortement mise en doute par l’un de ses coéquipiers, Belmore Browne, demeuré au pied de la montagne. En 1909, Ed Barrill dénonce la forfaiture. En 1906, Cook prétendra avoir atteint le pôle Nord, avant que la réussite soit attribuée à l’explorateur Peary.

 

Mineurs et prospecteurs relèvent le challenge

Si les « scientifiques » avec leurs appareils sophistiqués ne réussissent pas, les prospecteurs pensent y parvenir : ils connaissent le terrain et savent endurer des conditions difficiles. Pour eux, seul le versant nord peut offrir une chance de succès. En février 1910, six mineurs et prospecteurs expérimentés tentent leur chance. Parmi eux, un certain Charles McGonagall. À défaut d’atteindre le sommet, l’équipe découvre le col, clef d’accès au long et débonnaire glacier de Muldrow. Il porte depuis le nom de McGonagall Pass. Le 10 avril 1910, ils pénètrent enfin dans le bassin supérieur du glacier, vers 5 500 mètres. William Taylor et Peter Andersen, au mieux de leur forme, munis de crampons rudimentaires et de longues perches en guise de piolets, réussissent à se hisser sur le sommet nord à 5 934 mètres. Il se fait tard, le sommet sud, à 6 190 mètres est hors de portée. Mais ils ont ouvert le chemin vers la victoire.

 

Parker – Browne échappent de peu au tremblement de terre de 1912

En 1912, l’expédition menée par le professeur Parker et Belmore Browne rebrousse chemin à quelques mètres du sommet en raison de conditions climatiques extrêmes. Décision douloureuse sur le moment, mais à laquelle ils doivent certainement la vie sauve : un terrible séisme de magnitude 7,4 secoue la montagne le lendemain de leur retour au camp de base. L’arête gravie pour atteindre le bassin supérieur du glacier s’en trouve bouleversée. 

Belmore Brown
Belmore Brown dut rebrousser chemin en 1912 à 60 mètres sous le sommet en raison de la tempête

Belmore Brown
Photo prise lors de la tentative de Belmore Browne en 1912

 

1913 : l’année de la victoire

Âgé de 50 ans, Hudson Stuck, un prêtre, qui selon ses propres paroles n’est « ni un explorateur, ni un alpiniste ou un scientifique, mais un missionnaire », est envoûté par le Denali. Depuis des années, il parcourt l’immense diocèse de l’Alaska. Pour Stuck, gravir le Denali serait un véritable don du ciel. Ce vétéran des hivers redoutables ne doute guère du succès. Il s’entoure d’une équipe de trois jeunes et robustes prospecteurs : Roger Tatum (21 ans), Walter Harper (21 ans), Harry Karstens (34 ans). 

Roger Tatum, Johnny, Hudson Stuck, Esaias, Harry Karstens
De gauche à droite : Roger Tatum, Johnny, Hudson Stuck, Esaias, Harry Karstens. Photo prise par Walter Harper © Hudson Stuck

Hudson Stuck, au fil de ses diverses pérégrinations en Alaska, s’est convaincu de l’impérieuse nécessité d’arriver directement par le nord pour reprendre l’itinéraire des deux dernières expéditions de 1910 et 1912. Celles-ci partant de la côte méridionale, près d’Anchorage, avaient en grande partie épuisé leurs forces avant même de commencer l’ascension proprement dite.


La traversée à traîneaux depuis les rives du lac Minchumina jusqu’au camp minier de Kantishna © Hudson Stuck

Le 17 mars 1913, l’équipe au complet quitte les rives du lac Minchumina dans les eaux duquel se mire le Denali : deux traîneaux chargés de 700 kilos de provisions, quatorze chiens, quatre « alpinistes » et deux aides amérindiens, Esaias et Johnny. Le premier ramènera l’un des attelages depuis le camp de base. Le second sera chargé de garder les chiens au même camp : il restera seul pendant presque deux mois, dans l’incertitude du succès éventuel. Mi-avril, les quatre « alpinistes » traversent le McGonagall Pass (1 774 m) et prennent pied sur le glacier de Muldrow. 

 

Une ascension dangereuse, conséquence du tremblement de terre

L’ascension aurait pu être sans grande difficulté notable. Mais le tremblement de terre de 1912 a considérablement changé la physionomie du parcours. Pendant des jours, les quatre hommes doivent se frayer un chemin au milieu des blocs de glace et des crevasses béantes. Une arête relativement aisée demande de grandes précautions : ils n’ont pas prévu de cordes fixes pour équiper les passages à la descente. Le poids des charges à transporter, près de 140 kilos pour chacun des quatre protagonistes, les contraint à faire plusieurs allers-retours successifs. 


Grand bassin, camp 2 © Projet Gutenberg

 

Walter Harper, le héros oublié du Denali

L’un des participants s’impose vite par ses qualités et son endurance : Walter Harper. Fils d’une Indienne native d’Alaska et du prospecteur Arthur Walter (l’initiateur de la ruée vers l’or de 1878), l’élégant jeune homme aux traits altiers va porter haut l’honneur de ses aïeux. 

Walter Harper
Walter Harper, fils d’une Indienne d’Alaska et d’un prospecteur © Walter Harper, 1916 
(Photo courtesy of UAF Rasmuson library)

Le 6 juin, à 3 heures du matin, tous les quatre quittent le dernier camp installé dans le bassin supérieur du glacier de Muldrow vers 5 500 mètres. Stuck, persuadé que Dieu veille sur eux, se voit conforté dans son sentiment mystique : vingt-quatre heures d’un temps exceptionnel, sans un nuage, leur sont accordées. Sans compter qu’à cette latitude, à presque six mille mètres au-dessus de la mer, le soleil brille sans jamais se coucher. Seul le froid, intense (–14° avec du vent), ralentit la progression : ils doivent fréquemment s’arrêter pour ranimer la circulation dans leurs membres glacés.

Le 6 juin 1913, à 13 h 30, le jeune Amérindien Walter Harper foule la cime du plus haut sommet de l’Alaska. Hudson Stuck, dernier au sommet, supporte de plus en plus mal l’altitude. Il manque de s’évanouir et c’est au bras secourable de Walter qu’il se retient. Allelujah ! Stuck : « J’avais le sentiment qu’on m’avait accordé le privilège de communier avec les plus hauts lieux de la terre ». 

Un Te Deum, entonné avec émotion, vient couronner le succès. Et malgré l'épuisement, ils restent 1 h 30 au sommet, pour des mesures scientifiques réalisées à l’aide des lourds et encombrants instruments laborieusement portés tout au long de l’ascension. 

A 15 heures enfin, ils quittent le sommet. Périlleux retour au milieu des blocs de glace, avant de retrouver la vallée. Le parcours pour rejoindre le camp minier de Kantishna est loin d’être de tout repos, entre torrents en crue et nuées de moustiques. 

 

Fausse prédiction 

Si l’on peut reconnaître à Hudson Stuck le mérite d’avoir mené à bien cette première ascension, son sens de la prédiction alpine fait sourire : « La perspective que nous avions [du sommet] s’accorde avec notre étude au cours de l’ascension sur le fait qu’aucune autre voie vers le sommet ne sera trouvée ». 

La West Buttress Route (1951), plus courte que la voie originelle par le glacier de Muldrow est devenue la voie classique. L’impressionnante face sud du Denali sera gravie en 1961 par l’alpiniste italien Ricardo Cassin (1909-2009).

Hudson Stuck
Hudson Stuck, équipé pour les grands froids.

 

Plaidoyer en faveur des Indiens d’Alaska

Le mysticisme d’Hudson Stuck s’accompagnait d’une éthique en avance sur son temps. « Il se peut que les Indiens d’Alaska soient condamnés […] il est courant de rencontrer des hommes blancs qui supposent cela avec complaisance. Ceux qui se battent corps et âmes pour les Natifs ne le croient pas. […] Mais s’il devait en être ainsi, laissons au moins perdurer la mémoire des noms anciens. »

À partir de 1975, la polémique fait rage autour du nom de la montagne. Le 30 août 2015, le président des États-Unis, Barack Obama, annonce l’officialisation du nom de Denali. La mémoire des noms anciens, chère à Hudson Stuck, perdure. 

Retrouvez notre ascension du mont Denali, prochain départ confirmé en mai 2023.

Et découvrez ci-dessous une animation présentant l'ascension du mont Denali :

Texte et animation de Didier Mille

 

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Retour sur la conquête des montagnes des Seven Summits :

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