Journal de bord de Jean-François Descat
À l’été 2024, Expeditions Unlimited eut l’opportunité d’accompagner Jean-François Descat et Julien Delteil, deux alpinistes confirmés, dans leur première expédition à très haute altitude : l’ascension du Broad Peak à 8047 mètres au Pakistan. L’ascension de cette grande montagne, située juste en face du K2, est souvent donnée comme accessible alors qu’elle ne l’est pas, notamment du fait de sa raideur et de la météorologie du Karakorum souvent capricieuse. Cet article de blog est le récit de Jean-François dans son aventure à nulle autre pareille, un 8000 mètres au Pakistan.
Retrouvez notre ascension du Broad Peak, départ assuré le 13 juin 2025
Rencontre avec Jean-François Descat et Julien Delteil
Nous avons été contactés par Jean-François Descat au printemps 2022, alors qu’il préparait avec son compère de toujours, Julien Delteil, l’ascension du Korjenveskaya, un sommet à 7105 mètres du challenge du Snow Leopard au Tadjikistan. C’était leur premier pas vers la haute altitude. Très intéressés par ce sommet, le prévoyant guidé par Serge Bazin l’année d’après, nous prêtions au duo un peu de matériel et mettions un peu d’huile dans les rouages Kirghizo-tadjiks du partenaire que nous connaissons bien. Ce premier run fut un succès et Jef et Julien revinrent avec plein d’informations, de photos et de conseils qu’ils partagèrent alors avec nous, ce qui nous aida grandement à atteindre le sommet le 19 août 2023 avec Serge et quatre autres alpinistes.
Aussi, quand Jef revint vers nous avec ce projet de Broad Peak, il ne pouvait être question de ne pas en être. Nous décidions alors de leur prêter des tentes d’altitude, des combinaisons en duvet, le matériel de communication et de sécurité Iridium InReach et téléphone. Nous apportions ensuite notre contribution dans la préparation logistique et sa mise en œuvre au Pakistan. Enfin, forts de notre expérience à 8000 mètres, nous leur prodiguions quelques conseils de préparation logistique et stratégique (acclimatation, oxygène, portage, etc.) et leur fournissions un routage météo en la personne de Dominique Hennequin. Durant toute leur expédition, nous eûmes le bonheur d’être aux premières loges, échangeant des messages presque quotidiens avec eux, et de vivre leur aventure à 100 %.
Cette histoire leur appartient désormais totalement. C’est celle que Jean-François vous narre dans cet article de blog, celle de deux amis, deux alpinistes de talent et autonomes.
Julien au camp 2 du Broad Peak © Jean-François Descat
Choix de notre premier 8000
« Je veux découvrir le monde en passant par ses montagnes ». J’avais dû dire quelque chose dans ce genre à Clémence sur la terrasse d’un café, il y a bientôt une vingtaine d’années. Et me voilà en train d’écrire ces phrases au Pakistan, au pied du Broad Peak.
« Faire au moins un sommet à 8000 mètres ». Cette idée a mûri dans mon esprit lors d’un voyage au Pérou en 2018, et je me rappelle l’avoir formulée à Julien dans le fameux restaurant « chez Patrick » à Huaraz.
Les années suivantes, au sommet des Droites, je réalisais en sa compagnie mon 82e 4000, et nous nous dressions au sommet du Korjenevskaya à 7150 mètres.
Que je gravisse un sommet dépassant les 8000 mètres serait donc l’aboutissement d’un long apprentissage de la haute altitude et des voyages lointains. Le 8000 viendrait coiffer une pyramide dont le socle et le cœur sont faits des rochers des Alpes, des étages supérieurs des neiges des Andes et du Pamir. Au cœur de cette pyramide fourmillent autant de visages, français, italiens, suisses, quechuas, aymaras, russes, tadjiks, parlants différentes langues, différents dialectes, qui m’ont dit le monde comme me l’ont dit leurs montagnes.
Mais quel 8000 ? Comme toujours, nous n’avons qu’un petit budget, nous sommes tributaires des vacances scolaires, nous voulons être autonomes et nous souhaitons agrémenter nos aventures en altitude d’un superbe trek que nous pourrions parcourir avec nos compagnes.
En juillet 2017, au bivouac Giordano dans le massif du Mont-Rose, j’avais rencontré le président du club alpin de Roumanie qui venait juste de réaliser l’ascension de l’Everest, et à ma grande surprise il m’avait affirmé qu’au Pakistan, il était possible de gravir un 8000 pour un budget très raisonnable, pour peu que l’on soit autonome.
Durant l’été 2021, à Moskvina Camp, au Tadjikistan, j’avais demandé à l’Espagnol Carlos, qui avait à son palmarès les quatorze 8000, lequel lui semblait être « le meilleur rapport budget-probabilité de réussite », et il avait répondu sans hésiter : « el Broad Peak ». Des recherches sur internet m’ont ensuite confirmé ses conseils.
Puis la chance s’en est mêlée : sur un heureux coup de fil mon ami guide Jerome Sullivan me recommande une agence au Pakistan dont le siège se trouve à Skardu, aux portes du Baltoro, et Eric Bonnem, le fondateur de l’agence française Expeditions Unlimited, me propose un partenariat pour nous aider à organiser l’expédition, à disposer de matériel d’altitude, d’un routage météo personnalisé et de matériel de sécurité et de communication.
Vue sur le Broad Peak © Jean-François Descat
Approche en trek par le mythique glacier du Baltoro
Trente-trois hommes et une quinzaine de mules remontent la vallée du Baltoro. Trente de ces hommes proviennent de villages en amont : Askole, Jhola, Chobrok ; de villages situés de l’autre côté du col du Gondoro : Hushe et ses environs ; ou encore de Skardu et de ses villages alentour, comme le fameux Sadpara. Une vingtaine portent sur leurs dos des charges de trente kilos, de formes plus ou moins spectaculaires : des amas de bidons, de rouleaux de tapis de sol, de caisses en bois… Une dizaine guident leurs mules, chargées d’une centaine de kilos de tentes, de vivres, de tables et autres chaises pliantes… Ils sont pour la plupart des paysans pratiquant une agriculture vivrière dans des oasis isolées, parfois même de jeunes étudiants, ils gagnent là en dix à douze jours l’équivalent de 100 à 400 euros. Ils sont crasseux, hirsutes, mal chaussés, ont le verbe haut, dorment les uns contre les autres sous des bâches tendues entre des amas de cailloux, ils ont le dos meurtri, de larges ampoules aux pieds, celui-ci a une infection urinaire, celui-là une toux sèche incessante, ils rient fort et chantent joyeusement en dialecte balti. Trois de ces hommes sont des Européens en vacances : Julien et moi, ainsi que notre ami italien Lucas, rencontré au pied du Korjenevskaya en 2022, et qui a décidé de se joindre à nous en dernière minute.
Jour après jour, la vallée du Baltoro. Entre deux éclaircies, toujours plus grandiose. Les reliefs admirés la veille et les jours précédents demeurent visibles tandis qu’apparaissent de nouveaux géants. Trango Tower, Cathedral, Lobsang et leurs immenses murs et tours de granit ocres ; Masherbrum, Chogolisa, Gasherbrum IV et son « shining wall », géants de rocs, de neiges et de glaces se parant de teintes solaires ; au loin, et encore irréels, les intimidants Broad Peak et K2 se dévoilent entre les nuées.
L’enjeu crucial est de gérer l’hypoxie. Pour ce faire, nous avons passé avec Julien, avant d’atterrir au Pakistan, deux semaines improbables dans le massif du Mont-Rose, à vivre en haute montagne dans des refuges non gardés entre 3000 et 4600 mètres. Puis nous avons remonté la vallée glaciaire du Baltoro lentement, négociant le plus d’étapes possibles, pour arriver au camp de base, à 4800 mètres, en état de supporter un taux d’oxygène qui n’est déjà plus que de 50 %. Un autre enjeu est de ne pas tomber malade : hygiène des mains, vigilance alimentaire, ne pas laisser le froid nous envahir. Tout cela pour pénétrer bientôt, je l’espère, dans « la zone de la mort » avec autant de vitalité que possible. Le reste, ce n’est que de la marche et de l’alpinisme peu difficile.
Vers Concordia © Pascal Denoël
Premiers pas sur le Broad Peak, premières rotations
Dimanche 16 juin 2024.
11 heures : nous nous tenons tous les trois sur l’étroit sommet du Pastore Peak, à 6150 mètres. Le temps est radieux, d’un seul regard, nous pouvons embrasser, juste en face de nous, les masses des Broad Peak et du K2. Il a fallu porter en ahanant et parfois sous la neige des sacs de 15 à 20 kilos, il a fallu louvoyer entre crevasses et séracs, supporter diarrhée ou maux de tête, mais pour l’instant tout se passe comme prévu. Arrivés tôt dans la saison, nous avons depuis deux semaines le Baltoro pour nous tout seuls, et l’acclimatation va bon train.
La civilisation nous rattrape brusquement sous la forme des sympathiques Benjamin Védrines et Sébastien Montaz-Rosset que nous invitons à partager notre déjeuner dans notre pittoresque tente mess bariolée de fleurs en plastique et du drapeau pakistanais. Notre moraine isolée de bout du monde se peuple alors, jour après jour, de dizaines d’alpinistes et trekkers, de centaines de porteurs et mules, et autant de tentes bariolées. De là-haut, à 6000 ou 7000 mètres, dans la nuit et le silence, sous les étoiles et la voie lactée, on peut voir s’étendre les lumières de deux villages : les camps de base du Broad Peak et du K2.
Mercredi 19 Juin.
La météo n’est pas encore assez bonne pour passer une nuit là-haut, cependant nous décidons avec Julien d’aller déposer du matériel (une tente et des vivres) au camp 1 (5700 m) du Broad Peak. Nous sommes les premiers cette saison à arpenter les flancs du géant, et nous le faisons comme nous savons le faire : en suivant les courbes de niveau, les lignes de faiblesse, les passages les plus faciles ; en jouant à comprendre la montagne. Nous le faisons en grande partie sous la neige, mais une éclaircie nous accueille sur l’étroite plate-forme rocheuse qui sert de camp 1, et nous pouvons admirer les énormes masses rocheuses drapées de nuages surgissant des vastes étendues glaciaires striées de rochers noirs.
Montée vers C1 © Jean-François Descat
Lundi 24 Juin.
Nous entamons notre première “rotation”. Les règles du jeu ont totalement changé : finies les courbes élégantes ; le tranchage de bas en haut de la montagne par les cordes fixes a commencé. Nous tirons sur notre jumar dans des pentes de neige de 35 à 55 degrés, chargés de sacs trop lourds. Julien trouve cet exercice éreintant et dénué d’intérêt. Quant à moi, je m’en accommode, et je dois reconnaître que le côté tracteur en première me convient assez bien. Lucas, pas en forme depuis le Pastore Peak, et que nous avons déjà quelque peu distancé, nous fait signe à mi-chemin qu’il renonce. Nous appendrons à notre retour au camp de base qu’il pissait du sang à cause d’une infection urinaire.
Mardi 25 Juin.
Si la fixing team pakistanaise a déjà installé les cordes fixes jusqu’au camp 2 (6200 m), il a neigé depuis et avec Julien nous devons faire la trace parfois jusqu’aux genoux. Dans ces pentes raides, à cette altitude, chargés de gros sacs, c’est épuisant. Et c’est avec joie que nous nous faisons doubler par trois Américains portant des skis. Nous atteignons le camp 2 qui n’est pour l’instant peuplé que de quelques cadavres de tentes et d’un dépôt de rouleaux de cordes statiques. On y monte sa tente sur une arête rocheuse scabreuse, juste au bord de larges corniches plongeant dans l’abîme. Le paysage se fait plus vaste, l’horizon de lumière se dévoile davantage entre la multitude des sommets, et le K2, fumant, toujours nous domine de sa masse colossale.
Mercredi 26 Juin.
Dès la première pente raide au-dessus du camp 2, j’envisage de renoncer. Je m’enfonce jusqu’à la taille. Mais je compte sur le renfort de Julien puis l’engagement américain. Et en effet, après deux heures acharnées, les trois fusées passent en tête. Cependant, à 6700 mètres, c’est la capitulation générale sous un ciel menaçant et dans les rafales floconneuses. Tandis qu’avec Julien nous revenons sur nos pas, quelque peu dépités, un des Américains entame la descente à ski et déclenche une avalanche. Tout en courant autant que possible, je hurle à Julien de s’écarter de la trajectoire de la plaque qui s’effondre dans notre direction. Elle lui passe à trois mètres. Nous nous réfugions sur des rochers et laissons passer les skieurs qui déclenchent une nouvelle avalanche, laquelle prend une envergure ahurissante, arrachant à la montagne une quarantaine de centimètres de neige et découvrant la glace vive.
Mes compagnons abandonnent, je suis désormais seul dans cette aventure
Jeudi 27 juin.
Camp de base du Broad Peak. Depuis le temps que nous faisons cordée ensemble, j’ai souvent lu la peur et l’angoisse dans ses silences, dans ses yeux bleu foncé et sous ses sourcils noirs. Ce matin, c’est la terreur et la panique qui envahissent son regard injecté de sang et cerné de teintes violettes. Julien n’ira plus sur le Broad Peak.
Mardi 2 juillet.
A 6500 mètres, Lucas, recroquevillé dans la pente, faisant le dos rond pour essayer de soulager le poids du sac, me dit d’une voix faible : “I am sorry, I stop”. Me voilà donc seul. Une semaine plus tard, il sera de retour en Italie. Je continue comme prévu jusqu’en haut du dôme, à 6650 mètres. Là, se trouve une petite terrasse creusée dans la neige et à moitié comblée, où quelqu’un a passé la nuit. J’y installe ma tente dans les rafales.
K2 depuis le camp 3 du Broad Peak © Jean-François Descat
Mercredi 3 juillet.
En ce début de matinée, je remonte très lentement la pente raide qui surplombe le dôme et mène au camp 3. Un vent continuel m’enveloppe de son aérosol de neige. Ce maudit sac trop lourd. Je dois maintenant porter seul une tente prévue pour trois. Je fais quatre petits pas qui s’enfoncent de vingt centimètres dans la neige soufflée, je tâche de ne pas perdre haleine, et recommence. Je vise le prochain ancrage ou le prochain nœud de la corde fixe et m’y autorise une pause en m’affalant tourné vers la vallée, le sac appuyé sur la pente, pendu à ma poignée Jumar. À ce rythme, il me faut quatre heures pour faire les 350 mètres de dénivelé qui me mènent au large plateau glaciaire qui constitue le camp 3. Et trois heures de plus pour, dans le vent glacial, à 7000 mètres, creuser à la pelle une terrasse dans la neige, y installer solidement ma tente, et disposer dedans mes affaires. L’emplacement que j’ai choisi se trouve dans un insolite cimetière de tentes, face au soleil et au K2. J’y passe une fin d’après-midi confortable, mais dans la nuit la céphalée perfide m’oblige à me shooter au paracétamol. Je quitte l’abri à 6 heures du matin dans des thermiques soufflant à 40 km/h, sans avoir dormi ne serait-ce qu’une minute, et atteins le camp de base à 10 heures. Il m’a donc fallu quatre heures, à coup de rappels sur les cordes fixes, pour redescendre ce que j’avais mis quatre jours à gravir.
Lundi 22 juillet.
Je me dresse sur un gros rocher pour observer aussi longtemps que possible le petit point bleu disparaître dans la ligne d’horizon. C’est Clémence, précédée de Julien, Adèle et Harold. Ils se dirigent vers Concordia, pour traverser le Gondogoro La et rentrer en France. Il était prévu que je parte avec eux, mais les conditions de la montagne en ont décidé autrement. Ces deux dernières semaines, à cause du vent et des abondantes quantités de neige, les cordes fixes n’ont pas encore atteint le col et ont stoppé à 7500 mètres, les équipeurs sont rentrés exténués. Quant à moi, j’ai passé deux autres nuits au camp 2 pour y effectuer des dépôts, m’occuper et entretenir mon acclimatation, mais la montagne ne m’a pas laissé remonter au camp 3. Cependant, l’espoir renaît depuis quelques jours, car les bulletins météos annoncent une fenêtre entre les 25 et 30 juillet. Beaucoup comme moi ont décalé leur billet d’avion retour, et tous se préparent pour un ultime Summit Push.
Jean-François au sommet du Broad Peak © Jean-François Descat
Summit Push… Et sommet !
Jeudi 27 juillet.
21 h 30 : déjà deux heures que je remonte dans la nuit les interminables pentes en direction de ce col perché à 7800 mètres, qui me toise depuis deux mois. J’avance aussi vite que possible, c’est-à-dire en moyenne à 100 m/h, dans la tranchée de neige inclinée entre 30 et 55 degrés. La trace oblige à faire de grands pas, à forcer sur les cuisses et tirer sur le jumar. Depuis le camp 3 et jusqu’au col, je croise des grimpeurs qui descendent de leur ascension commencée la veille, ils marchent donc depuis 24 heures, et certains mettront jusqu’à 30 à 35 heures pour rejoindre leur tente au camp 3. Les plus en retard sont exsangues : excessivement lents, l’air hagard voire perdu ; l’une se fait traîner dans la neige par son porteur excédé ; l’un, au bord de l’énorme trace équipée de la corde fixe, me demande d’un air halluciné comment rejoindre le camp 3… Un bon nombre d’entre eux n’ont pas atteint le sommet et je me rendrai compte par la suite que ceux qui y sont arrivés sont pour la très grande majorité soit des professionnels de la montagne, souvent sans oxygène, soit des amateurs avec oxygène, guide et porteurs. Tous sont montés la veille en suivant la fixing team, soit dans les 45 à 50 personnes. Pourtant, les équipeurs avaient recommandé de ne pas les suivre mais d’attendre le lendemain, pourtant, la météo est bien meilleure cette nuit. Chacun ou chaque groupe a eu sa stratégie : par exemple s’arrêter à tous les camps pour les moins acclimatés, ce qui les a obligés à monter par mauvais temps et à passer des nuits agitées dans les rafales ; ou bien, pour certains ambitieux, vouloir atteindre le sommet d’une traite en partant du camp de base, ce qui s’est soldé par échec et épuisement.
Sommet du Broad Peak © Jean-François Descat
Quant à moi, je mets en œuvre les conseils des guides et porteurs locaux : monter directement au camp 2, y dormir, le lendemain matin monter au camp 3 et y faire la sieste toute l’après-midi, puis attaquer le sommet à la tombée de la nuit. Je ne suis pas la foule, mais les conseils d’Eric [Bonnem, Expeditions Unlimited] et les prévisions du routeur météo Dominique Hennequin, en qui j’ai confiance. Sachant que c’est mon seul et dernier créneau pour atteindre le sommet, et voyant l’état dans lequel descendent les prétendants de la veille, je décide d’utiliser l’oxygène que j’avais prévu au départ de ne prendre qu’en cas de problème.
Sommet du Broad Peak © Jean-François Descat
Vendredi 28 juillet.
3 h 30 du matin : j’atteins la ligne de faîte un peu au-dessus du col et au pied du « rocky summit ». Enfin je peux voir ce que nous cache le Broad Peak : la Chine, cette mer de nuage infinie qui à l’horizon scintille d’une lueur dorée. Tandis que je parcours les nombreuses et harassantes antécimes de la très longue arête sommitale, entre 7900 et 8050 mètres, le jour se lève de part et d’autre de la frontière et embrase les géants du Karakorum. Le temps est limpide, presque sans vent. Totalement seul, un puissant dialogue s’établit entre moi et la montagne. L’immensité et la somptuosité de notre monde récompensent alors mes efforts au-delà de mes souhaits.
Sommet du Broad Peak © Jean-François Descat
Ces instants acquis de haute lutte sont pour moi, comme pour tous les montagnards, des richesses que rien ni personne ne pourra nous enlever.
Jean-François Descat
Le 15 août 2024