Entretien exclusif avec l'explorateur Philippe Frey
07 septembre 2012Reste du monde
Au cours de cet entretien, Philippe Frey revient sur ce qui l'a poussé à parcourir presque tous les déserts du monde à pied, ses passions et ses motivations. Un moment rare de sincérité pour découvrir un explorateur hors du commun. Philippe Frey, explorateur, est également co-fondateur d'EXPEDITIONS UNLIMITED.
Bonjour Philippe, pouvez-vous nous retracer rapidement votre parcours ?
J'ai commencé à aller dans le désert à l'âge de 15 ans 1/2. Certes, c'était une fugue au Kurdistan seul, sans argent. Mais cela m'a fait découvrir en 3 mois mes premiers semi-nomades et les premières zones arides. A 16 ans, je traversais dans les mêmes conditions le Sahara. Pendant une décennie, j'ai exploré "toutes" les pistes du Sahara en exportant des voitures vers l'Afrique. Je n'en ai pas moins fait 3 masters universitaires et une thèse de doctorat d'ethnologie sur "les nomades du Sahara". Après coup, j'ai organisé des expéditions solitaires à travers les grands déserts inexplorés de la planète.
Pourquoi cette passion pour le désert ?
Cela s'est fait par hasard. Jeune, j'étais plutôt attiré par la mer. Puis, je me suis rendu compte que dans les déserts, on s'orientait de la même façon. Il y avait aussi des océans... mais de dunes. Et lorsqu'on s'éloignait des ports -qui sont ici plutôt des puits ou des oasis- on était livré à soi-même dans la solitude. L'avantage, c'est que dans le désert, on n'est pas soumis au mal de mer. Mais l'inconvénient, c'est que dans les immensités désertiques, il faut marcher en permanence. Ce n'est pas le bateau qui fait le travail...
Avez-vous parcouru tous les déserts du monde ?
J'ai parcouru à présent les plus grands déserts de chaque continent. Ainsi le Sahara d'est en ouest (9 mois et 9000 km). Puis les déserts d'Orient (2 ans et 4000 km). Puis les déserts d'Amérique (8 mois et 8000 km avec des chevaux). Sans oublier le Kalahari en survie, le Namib, une partie du Gobi, le désert Afar, etc... Mais il en reste trois, quatre ou cinq "petits" à parcourir (Atacama, Australie, Takla Makan...)
Quelle est l'expédition qui vous a le plus marqué et pourquoi ?
Personne n'avait jamais traversé intégralement le plus grand désert du monde: le Sahara. Et c'est le premier dans lequel je me suis lancé à 33 ans! Il a fallu acheter des chameaux, apprendre à s'en occuper, s'orienter alors que le GPS existait à peine... et surtout affronter les taches blanches des cartes! Deux de mes chameaux sont morts de soif et j'ai survécu par miracle entre le Mali et la Mauritanie, une des plus grandes zones de dunes du monde. Je suis devenu aveugle quelques jours à cause de la réverbération et de la sueur qui coulait dans mes yeux. J'ai traversé des terrains minés durant la guerre du Tchad. Mais j'ai touché les rives de l'Atlantique, accomplissant ce que personne -ni même aucun nomade- n'avait fait. Bien sûr, tous les autres déserts seront plus petits... mais chacun a son intérêt ! Ses populations étonnantes et spécifiques... Et parfois ses risques!
Vous considérez-vous plus comme un explorateur ou un aventurier ?
Lorsqu'on s'apprête à traverser un désert quel qu'il soit que personne n'a jamais traversé, on ne peut pas dire que ce ne soit pas aventureux. C'est même parfois hasardeux, même si on pense qu'on a tout prévu. On peut toujours trouver un puits ensablé... perdre un chameau, se casser un pied en chutant de dromadaire ou de cheval... perdre ses réserves d'eau. Tout est possible. Mais l'explorateur a ceci de particulier qu'il découvre des peuples parfois très méconnus -voire inconnus-, des zones immenses que personne n'a appréhendées. L'ethnologue que je suis se pose la question de savoir comment une vie animale, végétale ou même humaine est possible dans les zones les plus hostiles de la planète? C'est tout cet éco-système étonnant et mystérieux qu'on découvre à chaque pas. Bien sûr, on se demande aussi comment on arrive soi-même à passer dans ces zones inhumaines comme un trapéziste sur un fil.
Quel est l'explorateur que vous admirez le plus ?
Quand j'étais jeune, je lisais tous les livres de mer, de glace ou de désert qui me passaient entre les mains. Dès l'âge de 5 ans, je rêvais de quitter la maternelle avec une petite copine à cheval. Mais l'exploration s'est souvent révélée comme une conquête coloniale ou post-coloniale. Ou même une conquête de territoires neufs. Je ne me situe pas dans cette lignée des Théodore Monod ou des Paul Emile Victor. Ou même des Tabarly. Cadres de la marine ou chercheurs en Ichtyologie pour les besoins d'une armée française, etc...? Non merci. Je cherche à valoriser les peuples autochtones qui ont des valeurs semblables aux nôtres sans paternalisme. Je me sentirai toujours plus proche d'un ami Bushman ou d'un Toubou du Tchad que d'un collègue anthropologue. Les autres aventuriers ou explorateurs répondent à "leurs" envies. Mais la palette des motivations est souvent très très large!
Pourquoi contribuez-vous à Expeditions Unlimited ?
Le besoin de découvrir d'autres peuples et d'autres horizons est universel. On peut être tenté par un périple véritablement hors norme sans être un professionnel et parfois même sans être préparé. Mais il faut alors faire confiance à des professionnels. Passionné d'exploration, professionnel du marketing et de la logistique, Eric Bonnem l'est et son CV le prouve. Les différents explorateurs d' "Expeditions Unlimited" sont tous d'excellents spécialistes de leurs domaines. Il faut savoir faire découvrir d'autres lieux avec humanité, patience et chaleur. Car que reste-t-il au tourisme? Les voyageurs sont dans les mêmes hotels aux quatre coins du monde avec les mêmes prestations et la même nourriture. Même des lieux comme le désert ou la mer sont galvaudés avec des faux treks dans des sortes de réserves (comme le "wadi Rum" ou le "sud tunisien" par exemple). Il était temps de retrouver des vraies valeurs de découverte.
Avec les autres co-fondateurs d'Expeditions Unlimited, vous proposez l'ensemble des environnements extrêmes de la planète. Y a t-il d'autres environnements que vous connaissez ? Que vous souhaiteriez découvrir ?
Comme je le disais, j'étais plutôt attiré par la mer et je suis moniteur de voile. Même si je n'ai pas navigué depuis longtemps, je "sais" que j'achèterai un bateau tôt ou tard. Et lorsqu'on quitte un désert (qui est toujours situé sous la ceinture tropicale Nord ou Sud, que trouve-t-on? Des îles tropicales! C'est une des bizarreries de notre terre que de procurer sur la même latitude atolls et ergs! La montagne me procure un réel bloquage car j'y ai perdu mon frère et mon père. Mais pourquoi pas vaincre une fois pour toute cette appréhension avec une ascension de l'Everest. De plus, côté chinois, le toit du monde borde le Tibet, qui borde... le Gobi! Quand au froid, là aussi, je connaissais des -15° ou -20° dans mes Vosges natales. Et j'ai appris à dormir dehors par ces froids. Simplement, c'est difficile de demander à son organisme de s'adapter aux plus fortes températures du monde (56°C)... et en même temps aux plus basses!
Combien de livres avez-vous écrits ? En avez-vous d'autres en projet ? Quoi ? Pour quand ?
J'ai écrit à présent près de 20 livres. Certains sont des récits d'exploration ("Nomade Blanc", Kalahari", "le Scorpion d'Orient", "50°", "Caravanes"...). D'autres sont des livres d'explication sur les déserts. Il y a également des romans d'aventure vécue de personnages historiques qui ont eu des destinées incroyables de désert ("le Dernier Tartare", etc... Mais finalement une biographie complète de moi va sortir chez Arthaud au printemps 2013. Et je ne désespère pas de refaire quelques belles traversées de désert encore inédites come l'intégrale du Gobi en chameau à 2 bosses par exemple. A suivre...
Philippe, terminons notre entretien par votre portrait chinois
Mon portrait chinois? Eh bien justement, on y était! Je suis en Chine environ 2 fois par an. Chaque fois pour faire un nouveau petit bout de ce qu'on appelle communément le Gobi. Contrairement aux idées reçues, le Gobi est en Chine et non en Mongolie. Mais surtout c'est un chapelet de déserts séparés par "les" routes de la Soie. Ainsi "personne" n'a jamais traversé ni le Takla Makan en longueur, ni le Lop Nor, ni sa bordure sud (le "Kumtag"), ni entièrement l' "Alashan", etc... On travaille avec "Expeditions Unlimited" à réaliser quelques unes de ces énormes premières inédites. D'où ma présence régulière en Chine...
Si vous étiez
une couleur : le Blond des dunes. Ou le ciel Bleu qu'adorent tous les Mongols du désert de Gobi
une saison : l'été. Avec sa chaleur caniculaire (malheureusement pas assez sèche ici)
un sport : la marche dans le désert?
un artiste : celui qui imitera le bruit du vent
une espèce menacée : un scarabée... car il arrive à survivre dans les pires déserts
une partie du corps humain : le pied
une ville : Tamanrasset au coeur du Sahara
un livre : le Coran
un film : Lawrence d'Arabie bien sûr
et pour terminer,
votre mot préféré : beau... parce que c'est positif
le mot que vous détestez le plus : rien... car rien n'est pire que rien
Retrouvez les trois expéditions exceptionnelles emmenées par Philippe Frey en 2013 :
Le blog Expeditions Unlimited