Dans la forêt du nord-est de la République du Congo, se trouve le lac Télé, un lac peu connu et surtout, vers lequel, à l’exception des villageois de la région, quasiment personne ne s’est encore rendu. Un lac pour certain mythique car source de légendes, et qui ne se visite qu’à l’issu d’une expédition de plusieurs jours en forêt, tout aussi exigeante que mémorable. Morgane Cournarie, directrice technique de la branche congolaise de l’organisation américaine Wildlife Conservation Society (WCS) réalisait ce périple il y a quelques mois en compagnie de David, son compagnon. Une immersion en pleine nature qu’elle nous raconte ici. Inspirés par cette aventure exceptionnelle, nous travaillons au développement d'une nouvelle expédition au Congo dont nous vous reparlerons prochainement.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, peux-tu te présenter et nous expliquer en quoi consiste ton travail au Congo pour l’organisation américaine Wildlife Conservation Society ?
Je m’appelle Morgane Cournarie, et je suis directrice technique pour WCS Congo depuis plus de trois ans. La WCS cherche à conjuguer intégrité des aires protégées et exploitation durable des ressources naturelles, pour garantir l’épanouissement des écosystèmes autant que des populations.
La WCS a la gestion déléguée du parc national de Nouabalé-Ndoki, appuie le gouvernement sur les actions de lutte anti-braconnage dans la zone périphérique du parc, et assure la co-gestion de la réserve communautaire du lac Télé. Mon rôle est d’appuyer les équipes de terrain pour la mise en œuvre des activités, d'assurer le relationnel bailleur et de contribuer aux réflexions stratégiques pour assurer l’efficience et l’efficacité de notre appui de conservation.
© Morgane Cournarie / WCS
À présent, peux-tu nous raconter ce qu’est le lac Télé ?
Le Lac Télé, c’est un lac d’environ trois kilomètres de diamètre, situé au milieu de la plus grande forêt de tourbière tropicale du monde, et au sein de la réserve communautaire du lac Télé. Ce lac a une certaine notoriété au sein des naturalistes pour plusieurs raisons : d’abord, sa forme quasi circulaire qui est énigmatique. On a longtemps pensé qu’elle était le résultat de l’impact d’une météorite, mais en l’absence de la « signature chimique » des météorites dans les sols du lac, cette hypothèse est contestée.
Ensuite, ce lac endoréique n’est pas connecté au réseau hydrographique et est donc très difficile d’accès – quarante-deux kilomètres de marche depuis le village de Boha, localisé sur la Likouala-aux-Herbes et « propriétaire » du lac. De ce fait, il a été très peu étudié et garde un certain mystère.
Enfin, le lac Télé est censé héberger une créature mythique, le Mokelé-Mbembé, sorte de dinosaure aquatique qui fait partie des mythes des populations locales. Pour l’ensemble de ces raisons, le lac Télé est vraiment unique en son genre dans le bassin du Congo.
Représentation du Mokélé-Mbembé
Si marcher en forêt vers un lac semble être d’une grande banalité, veux-tu bien nous dire pourquoi partir vers le lac Télé ne s’improvise pas ?
De la capitale jusqu’au Lac Télé porte-à-porte, il faut compter six jours. Et ça, c’est si la logistique est parfaite sans encombre – ce qui n’arrive jamais en Afrique centrale ! Pour accéder au lac, il n’y a qu’une seule piste depuis le village de Boha. Ce village, situé le long de la rivière Likouala-aux-Herbes, est l’unique détenteur du droit d’accès au lac.
Ainsi, avant d’obtenir le droit de passage, le visiteur doit subir trois rituels afin de recevoir la bénédiction de passage. Ensuite, ce sont quarante-deux kilomètres de marche en forêt avec pisteurs et porteurs. Le lac est ceinturé par une bande de trois kilomètres de long de forêt marécageuse, où les arbres possèdent d’immenses racines échasses.
Et dans ce cadre, il n’y a plus de piste ni de sentier – il faut connaître chaque arbre pour arriver jusqu’au lac. Selon la saison, on s’enfonce dans l’eau boueuse de la cheville aux genoux, ce qui rend la progression très difficile. Peu importe où on regarde, on ne voit que de la forêt intacte à perte de vue.
© Morgane Cournarie / WCS
Pour quelle raison, avez-vous décidé avec David, ton compagnon, de rejoindre ce plan d’eau ?
David connaissait ce lac depuis son adolescence dans la littérature ; moi, je ne le connaissais que depuis que je travaille ici, au Congo. De toutes les personnes que nous rencontrions sur notre passage, aucune n’avait jamais mis les pieds dans ce lac, y compris des personnes ayant vécu à Epéna, la petite ville la plus proche (et base administrative de la réserve).
Au vu de notre amour à tous les deux pour les espaces sauvages, nous ne pouvions pas imaginer continuer à travailler sur ce site sans le connaître. Nous avons donc décidé de monter une expédition pour atteindre le lac.
© Morgane Cournarie / WCS
Comment s’organisaient vos journées de marche et quelles sont les sensations ressenties durant un tel périple ?
Nous sommes partis à neuf : deux écogardes de la réserve, cinq porteurs, David et moi-même. Nous transportions la nourriture de l’équipe pour sept jours, l’équipement de bivouac et l’eau. En effet, nous avons réalisé cette expédition pendant la saison sèche pour ne pas être bloqués par l’eau trop haute de la ceinture marécageuse. Mais du coup, les ruisseaux de forêts (où l’on peut s’abreuver facilement) étaient à sec. Cela a été une très grosse contrainte, car l’eau était rationnée, alors que pendant les marches de forêts, on sue beaucoup ! Nous nous levions le matin vers 6 heures, déjeunions, démontions les tentes, puis marchions, avec des pauses régulières, jusqu’à environ 15/16 heures, heure à laquelle nous montions le campement.
Lorsqu’on marche en forêt, c’est assez physique et on regarde surtout... le sol ! Pour mettre les pieds au bon endroit et éviter les chutes. Pendant les pauses, ou bien lors des campements, on entend vivre la forêt : chants des oiseaux, cris des singes, bruit du feuillage… Cette ambiance est assez envoûtante, à plus forte raison quand on sait que l’on est dans un endroit très peu connu et qui garde une certaine aura mystérieuse.
© Morgane Cournarie / WCS
Tu es au Congo depuis longtemps maintenant, qu’est-ce que le lac et cette marche vers lui ont pu t’apporter de nouveau ?
Plein de choses ! Cette aventure a été une très belle découverte d’un système économique que je ne soupçonnais pas, au beau milieu de nulle part ! Cela permet de décrocher de tout contact avec l’extérieur (pas de téléphone pendant 7 jours, ça ne m’était pas arrivé depuis des années), et de mieux comprendre les enjeux, le fonctionnement d’un village en brousse et le système de pensées des communautés vivant dans la réserve.
Alors que tout le monde a tendance à proposer le « tourisme » comme une activité pour assurer des revenus durables aux communautés avec lesquelles nous travaillons, je sais de quoi je parle ici lorsque je dis que seule une poignée de visiteurs pourra se lancer par an !
Et il faut le dire, il y a aussi la fierté d’avoir réussi cette expédition ! Je suis une des plus jeunes du programme de WCS Congo, mais avec le plus de responsabilités. Cette expédition aide à me donner un peu de légitimité dans mon poste.
© Morgane Cournarie / WCS
Quel est le rapport des communautés locales à ce lieu, et à la forêt qui l’entoure ?
C’est un lieu unique, et qui possède sa part de mystique. La communauté de Boha habitait, avant d’être déplacée par l’administration coloniale française dans les années 1920, à moins de 4 kilomètres du lac. Aujourd’hui, ils sont à plus de 40 kilomètres du lac. Mais tous les jours, pendant 10 mois de l’année, ces hommes, femmes et enfants se rendent au lac pour pêcher. Ils fument le poisson sur place, et le transportent à dos d’homme via des cageots fait de raphia sur place. Le fardeau pèse environ 40 kilos, et la marchandise sera ramenée jusqu’à Boha pour le vendre dans les villages voisins.
Autour du lac, il y a quelques abris disséminés qui permettent aux pécheurs de stationner le temps de remplir leur cageot de poisson fumé. Le lac représente donc une ressource naturelle d’une grande importance économique pour les villageois. Mais il a aussi une forte importance culturelle : en effet, sur le chemin d’accès, on doit réaliser de petits rituels de danse et d’incantations à mesure qu’on s’approche du lac.
Les villageois ne parlent pas facilement du Mokélé-Mbembé mais, une fois passées les réticences, livrent plein d’histoires sur cette bête – qui, en fait, habiterait un petit lac voisin connecté au Lac Télé, mais strictement interdit d’accès…
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