Il y a deux ans, Renaud Fulconis, notre collègue en charge de Saïga, l'activité de Secret Planet dédiée aux voyages nature, décidait de se confronter à l’environnement polaire. Passionné de nature et de sport extrême, il se fixe alors un objectif : traverser en hiver le lac Baïkal en autonomie avec sa compagne Aliénor. La géopolitique internationale les ayant contraints à revoir leur projet, Renaud et Aliénor se concentrent alors sur la Mongolie et la traversée en aller/retour du lac Khövsgöl gelé. Ils réalisent cette expédition en février 2023. De cette grande aventure est née une expédition engagée à travers le lac Khövsgöl, que nous vous proposons pour février 2024. Dans cet article, nous nous entretenons avec lui sur cette expédition, de sa genèse à sa réalisation. Un entretien passionnant autour d’un projet particulièrement original et beau.
Quelle a été ta motivation pour te lancer dans cette aventure ?
Avec ma compagne, Aliénor, nous avons décidé au début du premier confinement, de réaliser une aventure ensemble. L’un comme l’autre, nous avions beaucoup voyagé avant de nous connaître. Depuis que nous sommes ensemble, nous sommes partis à plusieurs reprises sur le terrain, principalement dans le cadre d’action de conservation de la faune sauvage. Nous avons aussi effectué de nombreuses randonnées et treks en montagne, et aspirions à partager une expérience forte. Alors que nous envisagions les différentes destinations qui pourraient nous plaire, nous nous étions arrêtés assez rapidement sur le lac Baïkal. Le livre Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson n’y était sans doute pas étranger.
Ni l’un ni l’autre n’avions d’expérience de longue durée dans les environnements froids, et nous y projeter nous a immédiatement séduits. Nous aimions l’idée de la découverte et d’une immersion dans un univers au sujet duquel nous ne savions encore rien, ou presque. Enfin, nous aimions l’idée d’être sur le lac. L’idée de simplement cheminer en pleine nature et d’y vivre simplement, sans artifice. Non pas de nous confronter à cet environnement peu familier, mais plutôt d’apprendre, afin de faire avec.
Découvrez l’expédition de Renaud sur le blog On va marcher sur le lac.
© Jacques Ducoin
Pourquoi la Mongolie et le lac Khövsgöl ? Était-ce la première fois en Mongolie ?
Le déclenchement de la guerre en Ukraine nous a conduits, en février 2022, à envisager une autre destination. Aller en Sibérie n’était plus envisageable, et nous avons passé quelque temps à imaginer d’autres endroits possibles. Nous aimions l’idée d’un lac gelé, et c’est lors d’une conversation avec notre ami, l’explorateur polaire Alban Michon, que le nom de Khövsgöl est arrivé sur la table. Alban s’y était rendu, et il nous en a parlé comme d’un lieu magnifique. Ni Aliénor ni moi n’avions jamais mis les pieds en Mongolie, mais ce pays exerçait sur nous une sorte de fascination. La faible densité de sa population sur des immensités naturelles ne pouvait que nous attirer. Des paysages et des rencontres d’une incroyable richesse avec les Mongols, si joliment racontés dans ses livres par Marc Alaux. Le lac Khövsgöl, par ailleurs, n’est séparé du Baïkal que de 200 kilomètres, et ses eaux s’y déversent par la rivière Eg. Finalement, nous rendre en Mongolie, plutôt qu’en Russie, nous a plu davantage encore.
Faut-il suivre une préparation particulière pour aborder ce genre d’expédition ?
La préparation dépend de l’expérience de chacun. Si Aliénor et moi sommes adeptes des trails, des randonnées et des treks en montagne, parfois à plus de 5 000 mètres d’altitude, nous préparer consciencieusement à un mois environ par grand froid nous a semblé approprié. Nous avons mis à profit le temps dont nous disposions. À deux reprises, nous avons retrouvé notre copain Alban Michon à Tignes, dans son école des explorateurs. Nous y avons, par exemple, simulé un passage à travers la glace, et avons passé notre première nuit sous la tente sur la glace. Nous avons aussi participé en Belgique au stage de préparation aux environnements polaires, proposé par Expeditions Unlimited, encadré par Dixie Dansercoer. Près de Chamonix, nous avons suivi la journée d’introduction à la médecine de montagne et d’environnements polaires, également organisée par Expeditions Unlimited avec l’Ifremmont. Bénéficier de ces expériences, comme de celle du guide polaire Manu Poudelet, a été un vrai plus. Nous avons également effectué plusieurs séances en préparation mentale avec Simon Allaz. Coach mental moi-même, je ne pouvais que mesurer l’importance de cette approche, notamment dans le fait de réaliser cette aventure en couple et d’être bien aligné sur le pourquoi nous souhaitions y aller. Dans ce sens, le GR20 en Corse en 11 jours et l’Ultra Trail de l’Ultra Marin dans le Morbihan nous ont permis de nous confronter à la difficulté ensemble, et d’ajuster le fait de progresser à deux.
Enfin, nous avons passé de nombreuses heures à sélectionner minutieusement chaque pièce de notre équipement : nos pulkas, notre réchaud, nos vêtements, nos sacs de couchage, notre tente, nos outils de communication, notre alimentation… Nous avons eu la chance d’avoir à nos côtés plusieurs partenaires, dont l’équipementier Ferrino, mais aussi de nombreux dons de particuliers qui souhaitaient, à leur manière, vivre l’aventure à nos côtés. Ils nous ont suivis par l’intermédiaire de notre page Facebook et Instagram, et aussi via notre site Internet.
© On va marcher sur le lac
Était-ce une première expédition pour toi ? Comment évaluer si on a le niveau pour se lancer dans une telle expédition ?
J’avais déjà réalisé plusieurs aventures sportives, en VTT et à pied dans les déserts australiens, puis à la nage descendant le fleuve Loire et le fleuve Maroni, en Guyane française. Pour Aliénor, c’était une première. Il nous a fallu du temps avant de nous sentir prêts. Incontestablement, les tests dans des conditions proches de celles du lac, comme la semaine que nous avions passé en hiver sur la Grande traversée du Jura, y a contribué. Nous avons cependant toujours considéré, qu’avant tout, nous devions conserver l’humilité face à cette expérience qui nous attendait. Nous connaissions bien notre matériel, et maitrisions la plupart des aspects techniques, mais d’une manière avant tout théorique. Nous sommes en tout cas partis considérant que nous avions fait ce qu’il fallait pour nous sentir prêts, et nous avions hâte d’y être.
Quelles ont été tes impressions et sensations sur la glace ?
C’est une chose de s’imaginer sur la glace par – 35°, et une tout autre que d’y être et d’y faire les premiers pas en tractant une pulka de 80 kilos. Les premiers jours ont été très forts, parce que nous y étions enfin, que nous sentions la glace craquer sous les crampons sous nos bottes. Ce qui frappe d’abord, c’est le froid qui fouette la moindre parcelle de peau à l’air libre. C’est ensuite la beauté époustouflante de la glace, de ses formes et de ses couleurs, et puis ce sentiment d’être tout petit. Au début, nous avons surtout eu l’impression de lutter contre. Contre le froid bien sûr, contre notre réchaud qui ne voulait pas démarrer, contre le temps pour monter notre campement dans les meilleures conditions. Et puis, après quelques jours, nous avons pris nos marques. Nous avons alors commencé à faire avec le lac, le considérant avec toujours plus de respect et d‘admiration. Nous nous sommes émerveillés de ses bruits, des impressionnants craquements dans la nuit comme des bulles bruyantes qui éclataient autour de nous, nous donnant l’impression d’être dans une marmite géante sur le feu. Nous cheminions sur des portions de neige, ou d’alternance de neige et de glace vive. À plusieurs reprises, nous avons dû contourner des zones de crêtes de compression. Des kilomètres carrés où la glace ressemblait davantage à un sol de verre brisé, rendant difficile ou impossible notre progression, qu’à la régularité d’une patinoire.
© On va marcher sur le lac
La régularité des journées
Au réveil vers 7 h 30, il nous fallait toujours un peu de temps pour nous extraire de la chaleur relative du duvet. Je sortais alors brosser nos pulkas recouvertes d’une couche de glace, puis retirais le double toit que j’accrochais par un mousqueton à la tente pendant qu’Aliénor faisait fondre la glace pour le petit-déjeuner. Il me fallait un bon moment afin de me réchauffer, en particulier mes pieds malgré les bottes épaisses et les grosses chaussettes. La quantité de glace accumulée à l’intérieur au cours des nuits était impressionnante, et il me fallait une bonne demi-heure pour la retirer à l’aide d’une brosse. À deux reprises, j’ai déchiré le tissu avec mes crampons, ce qui nous valut de nous atteler à la couture. Nous prenions aussi un peu de temps pour un brin de toilette, enfin, surtout Aliénor qui pour cela était bien plus assidue que moi. Pas facile de dégeler un bloc congelé de lingettes près du réchaud. Nous n’avions alors que quelques secondes pour le débarbouillage avant que la lingette ne redevienne solide.
Après un nouveau plat lyophilisé, nous nous mettions en marche vers 11 heures, nous arrêtant toutes les heures pour boire du thé et manger quelques graines, du fromage et du saucisson congelé. Nous contournions souvent de larges plaques de neige pour évoluer aussi souvent que possible sur la glace, sur laquelle nos pulkas glissaient comme des savons. En raison des zones de crêtes, nous avons dû cheminer une partie du parcours aller sur le tracé des voitures. Vers 16 heures, nous montions le camp sur la neige. Elle nous isolait un peu du froid du lac. Une fois notre tente montée, nous y installions un tapis isolant et nos matelas, puis nos duvets et nos oreillers. Nous choisissions le plat lyophilisé qui allait composer notre repas, puis allions chercher de la glace. Après l’avoir cassé dans le dur du lac, nous avons rapidement privilégié les zones de compression qui nous offraient des glaçons directement accessibles. Il ne nous restait alors qu’à les briser en petits morceaux pour qu’ils puissent entrer dans notre bouilloire. Les faire fondre et remplir nos thermos prenait une grosse heure avant de dîner. Nous ne mettions ensuite pas longtemps à nous endormir, nous réveillant souvent, en particulier dans mon cas pour satisfaire un besoin naturel dans la bouteille gardée dans mon sac de couchage. Notre amie Marie nous adressait chaque jour un point météo précis avec les prévisions. Cela nous a conduits à passer une journée complète sous la tente après la mi-parcours, en raison des vents très violents qui étaient annoncés.
© On va marcher sur le lac
Pourquoi avoir choisi de faire l’aller-retour ?
Initialement, nous avions prévu de traverser le lac Baïkal du nord au sud, sur les plus de 600 kilomètres de sa longueur. Le Khövsgöl est beaucoup plus petit puisqu’il ne mesure que 136 kilomètres de long. Ainsi, le faire aller et retour nous a semblé logique. Nous souhaitions avant tout passer du temps sur le lac, et en aucun cas y réaliser une performance. Ainsi, nous avons aimé prendre notre temps, et même ralentir les derniers jours pour ne pas rejoindre trop tôt le village de Khatgal, d’où nous étions partis.
Quel a été ou quels ont été les moments qui t’ont le plus marqué ?
Je n’ai cessé de m’émerveiller de la beauté du lac, m’arrêtant souvent pour prendre des photos et des vidéos alors qu’Aliénor m’attendait. J’ai été stupéfait de découvrir à quel point cette masse de glace peut être différente en fonction des endroits. Sur la partie retour, nous avons rencontré Joël Rauzy avec ses chiens de traîneau et des clients. Nous avions envisagé de pouvoir nous retrouver quelque part sur le lac et ce moment a été particulièrement fort. Après l’avoir quitté, nous nous sommes retrouvés sur une partie de glace vive que nous avons foulée trois jours durant. En plus de la facilité de notre progression, évoluer et dormir à même la glace en permanence a été extrêmement riche en émotions. Cela, au même titre que la nuit que nous avons passée dans la maison d’une famille d’éleveurs, installée au bord du lac dans une superbe crique. Sans toujours nous comprendre, nous avons partagé leur dîner, puis avons installé nos duvets à même le sol, aux côtés des enfants. Dans l’unique pièce qui faisait office de salon, de cuisine et de chambre, nous avons passé un moment mémorable. Enfin, les messages que nous recevions de nos amis tous les deux ou trois jours sur notre appareil satellite nous ont fait beaucoup de bien. Ils n’étaient pas nécessaires, mais nous ont souvent beaucoup émus. Finalement, Il ne manquait que nos proches. J’espère que cela ressortira dans le film qui retracera cette aventure d’ici la fin de l’été.
© On va marcher sur le lac
Inversement est-ce qu’il y a des moments difficiles et t’es-tu senti en danger ?
La première semaine, je me projetais souvent vers l’arrivée, imaginant le plaisir que j’aurai à regagner la berge. Puis cela est passé pour laisser place à l’envie de prendre plus que jamais mon temps. Sans être inquiets, nous nous sommes interrogés sur la possibilité de rencontrer des loups, en particulier lorsqu’à deux reprises nous avons trouvé leurs traces sur la neige. Les bruits impressionnants du lac nous fascinaient plus qu’ils ne nous effrayaient. Quant à passer à travers la glace, la probabilité était très faible. À cette période, son épaisseur dépasse par endroit le mètre.
Si le confort manque, il me semble que l’essentiel pourtant s’y trouve. Ce type de voyage nous a ramenés, ma compagne et moi, à tout ce qu’il nous faut : progresser, nous nourrir, vivre simplement et sans cesse, apprécier de partager cette incroyable immersion dans l’un des plus beaux environnements que je connaisse. Ces trois grosses semaines nous ont beaucoup appris, sur la force de notre lien, et plus que jamais, sur notre aspiration à la sobriété.
Grâce au retour d’expérience de Renaud, nous lançons cette expédition hivernale sur le lac Khövsghöl pour un départ en février 2024, que nous ouvrons à des participants ayant une première expérience, même courte, du grand froid et du bivouac.
Retrouvez ici la traversée à pied du lac Khövsgöl.
Et toutes nos expéditions en milieu polaire.