20 avril 2022Alpinisme, Quatorze 8000
Expédition au Manaslu © Eric Bonnem

Depuis que l'Homme a entrepris de tutoyer les montagnes au milieu du XIXe siècle, il n'a eu de cesse de convoiter des cimes toujours plus hautes et de repousser les limites de ce qui est considéré comme possible. Sur les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres que compte notre planète, tous sont situés dans le massif de l'Himalaya, entre le Népal, le Pakistan et la Chine. Nous vous proposons de retracer les différentes ascensions historiques des quatorze 8000, les plus hautes montagnes du monde, qu'Expeditions Unlimited est le seul opérateur francophone à proposer désormais intégralement. Et ce sera l'occasion de faire le point sur nos prochains départs pour ces expéditions.

 

1. Annapurna, 8 091 m - 3 juin 1950 - France

Une fois n’est pas coutume. Au grand dam de l’Alpine Club britannique, la première autorisation d’ascension d’un plus de « 8000 », au Népal, est accordée au Club Alpin Français pour l’année 1950. Le Dhaulagiri I (8 167 m) et l’Annapurna I (8 091 m) lui sont offerts sur un plateau. Aucune carte n’existe, les Français errent de longues semaines à la recherche de leurs montagnes. Pendant de longues semaines, tous les efforts sont concentrés sur le Dhaulagiri. Trop difficile. L’accès à la face nord de l’Annapurna enfin découvert, il leur reste moins de vingt jours pour réussir. Mais la progression est rapide. Le 2 juin, Louis Lachenal et Maurice Herzog se trouvent seuls au camp 5, à 7 440 m. 

Le 3 juin 1950, à 14 heures, la patrie peut être fière. Ils ont vaincu et sans oxygène. Quelques minutes de gloire, mais à quel prix ? Si Maurice Herzog a plutôt bien survécu au terrible drame de la descente et en a tiré célébrité et honneurs, on ne peut en dire autant de Louis Lachenal. Pour faire la différence entre l’héroïsme patriotique et la réalité humaine, démêler le vrai du faux, il est nécessaire de prendre le temps de se pencher sérieusement sur les écrits de chacun afin d’aller au-delà du mythe.

Annapurna © Expeditions Unlimited
Annapurna © Expeditions Unlimited

 

2. Everest, 8 848  m - 29 mai 1953 - Nouvelle-Zélande et Népal

11 juin 1938. La septième tentative d’ascension de l’Everest, par la face nord, échoue à nouveau. Depuis 1921, les alpinistes britanniques, maîtres du terrain, sans concurrent, jettent toutes leurs forces dans cette ultime conquête. Pourtant, courage, abnégation, obstination ne suffisent pas. Les Sherpas, sans lesquels rien ne peut se faire, d’abord simples porteurs puis inséparables compagnons de la haute altitude, participent activement. Deux d’entre eux deviennent légendaires : Ang Tharkay et Tensing Norgay. La face nord, interdite par le tout nouveau gouvernement communiste Chinois, les membres de la Couronne se tournent alors vers la face sud, au Népal, qui ouvre enfin ses portes. Le 29 mai 1953, la très forte équipe conduite par le Colonel John Hunt voit ses efforts récompensés. Le Néo-zélandais Sir Edmund Hillary et le Sherpa Tensing Norgay foulent enfin la cime tant convoitée. Trente deux ans après la toute première tentative effectuée sur la face nord.

Ascension de l'Everest par le versant sud népalais © Expeditions Unlimited
Ascension de l'Everest par le versant sud népalais © Expeditions Unlimited

 

3. Nanga Parbat, 8 125 m - 3 juillet 1953 - Autriche

Entre la première ébauche d’ascension de Mummery en 1895 et la réussite mythique de Hermann Buhl en 1953, 30 personnes ont laissé la vie sur les pentes de la “montagne tueuse”. Triste record. Le brillant grimpeur Mummery d’abord, puis deux expéditions austro-allemandes en 1934 et 1937 payent un lourd tribut. Avec ses trois immenses versants complexes, exposés aux avalanches, le Nanga Parbat pose un réel problème d’itinéraire. Au contraire de la plupart des 8 000, il n’existe pas de parcours évident vers le sommet. Mais la ténacité finit par payer. Le 3 juillet 1953, lors d’une ascension légendaire, Hermann Buhl,  seul et sans oxygène atteint le sommet par le versant nord, dit de Rakhiot. A la descente, il doit faire un bivouac à peu de distance du sommet, sans le moindre équipement. Exploit absolu qui forge la légende.  

 

4. K2, 8 611 m - 31 juillet 1954 - Italie

De toutes les grandes premières sur l’un des quatorze huit mille, aucune n’a soulevé autant de controverses durables que la victoire sur le K2. Le 31 juillet 1954 deux alpinistes italiens, Achille Compagnoni et Lino Lacedelli atteignent le sommet, soi-disant sans oxygène. Mais pour être certains de distancer le jeune et brillant alpiniste Walter Bonatti, qui monte derrière eux, ils dissimulent leur dernier camp. Bonatti, lui, apporte l’oxygène indispensable au sommet. La nuit tombe. Avec son porteur Mahdi, ils improvisent un bivouac. Sans tente, ni duvet, ni réchaud. Ils survivent miraculeusement mais doivent redescendre. Compagnoni et Lacedelli récupèrent les précieuses bouteilles déposées par Bonatti et foncent vers le sommet. Les deux vainqueurs prétendront même être arrivés au sommet sans oxygène, les bouteilles ayant été, selon Compagnoni, partiellement utilisées dans la nuit par Bonatti et Mahdi. Problème : Bonatti et Mahdi n’avaient pas de détendeurs. Compagnoni et Lacedelli étaient les seuls à en avoir. À l'infamie, Compagnoni ajoute le mensonge, puis la calomnie. Va s’ensuivre une polémique digne des tragédies antiques. Le CAI (Club Alpin Italien) n’acceptera de revoir la version officielle qu’en 2004, après le décès survenu en 2001 du professeur Ardito Desio,  leader de l’expédition.

K2 © Expeditions Unlimited
K2 © Expeditions Unlimited

 

5. Cho Oyu, 8 188 m - 19 octobre 1954 - Autriche et Népal

Le vent. Le terrible vent du Tibet. Souffle des Dieux, souffle destructeur. Il s’insinue entre tous les vêtements, glace la moindre parcelle de peau exposée à sa morsure. En cette nuit du début d’octobre 1954, quatre hommes, qui se voyaient déjà au sommet de la “Déesse de Turquoise”, en font la douloureuse expérience. Arceaux brisés, tentes réduites en lambeaux. La facilité avec laquelle ils ont surmonté l’obstacle majeur de la voie, une barre de séracs devant laquelle même le grand Eric Shipton avait dû s’avouer vaincu en 1952, leur a fait croire à un succès facile. La victoire sur le Cho Oyu, il faudra aller la chercher, le 19 octobre 1954, au bout des doigts gelés de Herbert Tichy, accompagné de son ami le Sherpa Pasang Dawa Lama et de Sepp Jochler.

Cho Oyu © Expeditions Unlimited
Cho Oyu © Expeditions Unlimited

 

6. Makalu - 15 mai 1955 - 8 485 m - France

« L’ascension du Makalu, une page heureuse dans l’histoire de l’Himalaya. » C’est par cette phrase lapidaire que Jean Franco, chef de l’expédition française au Makalu au printemps 1955, résume leur très belle victoire sur le cinquième plus haut sommet de la planète. Les « plus de 8 000 » précédemment gravis (Annapurna, Everest, Nanga Parbat, K2, Cho Oyu) ont vu trois participants, tout au plus, se dresser au sommet, grâce au soutien logistique de tous. Au Makalu, répartis sur trois journées successives, tous les grimpeurs, ainsi que le sirdar Gyaltsen Norbu, soit neuf participants au total, ont foulé la cime d’un des géants de la terre. Jean Couzy et Lionel Terray, les premiers arrivés au sommet le 15 mai, tous les autres membres de l’expédition vont suivre. Succès dû tout autant à une préparation et à une acclimatation minutieuses, qu’à la réussite de la reconnaissance de 1954. Et à une chance exceptionnelle avec la météo.

Makalu © Michel Baronian
Makalu © Michel Baronian

 

7. Kangchenjunga - 25 mai 1955 - 8 586 m - Royaume Uni

Pour accéder à la cime du Kangchenjunga, il aura fallu cinquante-six ans d’efforts intenses. D’abord la première “Haute Route” réalisée par Douglas Freshfield en 1899. Puis en 1905, Aleister Crowley, mage sulfureux, détermine le bon itinéraire d’ascension sur son versant sud-ouest. En 1929 et 1931, les Allemands livrent, sans succès, une lutte épuisante et parfois tragique sur l’éperon nord-est et la longue arête nord. Finalement, le  12 mai 1955, c’est bien l’itinéraire initié par Crowley qui apporte la clé du succès aux Britanniques George Band et Joe Brown. L’Angleterre empoche sa première vraie victoire.

Kangchenjunga © Expeditions Unlimited
Kangchenjunga © Expeditions Unlimited

 

8. Manaslu, 8 163 m - 9 mai 1956 - Japon

9 mai 1956, 12h30 : le sirdar népalais Gyalzen Norbu (37 ans) inscrit son deuxième huit mille à son palmarès. Avec l’himalayiste japonais Toshio Imanishi (41 ans), il se dresse sur l’étroite pyramide sommitale rocheuse du Manaslu (8 156 m). Pour la première fois, le sommet du Manaslu est foulé par l'Homme. Il aura fallu au Japonais cinq tentatives pour réussir à gravir le huitième plus haut sommet du monde qui, aujourd'hui encore, reste une ascension marquante dans une vie d'alpiniste.

Manaslu © Eric Bonnem
Manaslu © Eric Bonnem

 

9. Lhotse, 8 516 m - 18 mai 1956 - Suisse

De tous les huit mille, le Lhotse est le seul à ne pas avoir fait l’objet d’expéditions à part entière. Séparé de l’Everest par le col Sud (7 906 m), le Toit du Monde a longtemps éclipsé son altier voisin. En 1952, les Suisses avaient été bien près d’atteindre le sommet de l’Everest. Arrêtés à 8 600 mètres, les 150 mètres menant à la victoire leur ont échappé. Ils reviennent en 1956 avec un double objectif : réussir la première helvétique du Toit du Monde et gravir le Lhotse, quatrième plus haut sommet de la planète. Reprenant l’itinéraire parcouru en 1952, ils atteignent le col Sud, où ils installent un treuil qui leur permet de transporter aisément leur matériel vers le Lhotse. Nouveauté technologique : les crampons avec pointes frontales, utilisés pour la première fois dans l’Himalaya, diminuent le temps et la fatigue nécessaire à la fastidieuse taille de marches. Le 18 mai, Fritz Luchsinger et Ernst Reiss remontent un couloir en face ouest (le “Reiss gully”) qui leur donne accès au sommet. Quelques jours plus tard, l’Everest est gravi à son tour. Ce fut la première expédition à réussir l’ascension de deux huit mille à quelques jours d’intervalle.  

  • Ascension du Lhotse, en général proposé en combinaison avec l'Everest - prochaine expédition à confirmer.

 

10. Gasherbrum II, 8 034 m - 7 juillet 1958 Autriche

Massif du Gasherbrum. Six cimes altières, dont deux à plus de 8 000 : le G II (8 035 m) et le G I (8 068 m). En mai 1954, les Autrichiens, qui comptent déjà le Nanga Parbat et le Cho Oyu à leur palmarès,  frappent encore. Huit d’entre eux parcourent le Baltoro et installent leur camp de base à la jonction des glaciers des Abruzzes et du Gasherbrum sud. Ils remontent ce dernier et gravissent les pentes de l’arête sud-ouest du Gasherbrum II. Le 30 juin, une avalanche balaye le camp I (6 000 m), engloutissant une bonne partie de leur équipement. Ils persévèrent et installent, le long de l’arête, les camps II (6 700 m) et III (7 150 m). Ultime bivouac à 7 500 mètres, sans oxygène. Le 7 juillet 1956, Fritz Moravec, Josef Larch et Hans Willenpart traversent sous la pyramide sommitale, remontent l’arête est et prennent pied sur l’étroit sommet du Gasherbrum II. Une belle victoire, sur un sommet ne présentant pas de difficultés majeures.

Gasherbrum II © Jérôme Brisebourg
Gasherbrum II © Jérôme Brisebourg

 

11. Broad Peak, 8 047 m - 9 juin 1957 - Autriche

Fin 1956, dix des quatorze plus de 8 000 ont vu leur cime foulée par les himalayistes. Trois ont succombé au brio des alpinistes autrichiens. En 1957, quatre sommets restent à gravir, dont deux au Pakistan : le Gasherbrum I, ou Hidden Peak (8 068 m) et le Broad Peak (8 047 m). Précurseurs des expéditions en style alpin à venir, ce sont encore une fois les Autrichiens qui vont s’illustrer. Hermann Buhl, Kurt Diemberger, Marcus Schmuck et Fritz Wintersteller réussissent au Broad Peak un exploit alors passé presque inaperçu. Sans camp de base, sans Sherpas d’altitude, sans oxygène, ils s’offrent un beau morceau de bravoure. Mais le succès garde sa part d’ombre, avec la disparition subite de Hermann Buhl dans une tentative malheureuse au Chogolisa (7 665 m).

Broad Peak © Tunc Findik
Broad Peak © Tunc Findik

 

12. Gasherburm I ou Hidden Peak, 8 050 m - 3 juillet 1958 - USA

Identifié d’abord par le service topographique de l’Inde comme le K5, approché ensuite par Sir Martin Conway en 1892, le Gasherbrum I (8 068 m), « la montagne étincelante » en langage balti, devient, pour Sir Martin Conway, le Hidden Peak, « la montagne cachée ». L’expédition internationale de Günter Dyhrenfurth se distingue, en 1934, par la réalisation du premier long métrage fictif tourné dans ce décor grandiose. Vient ensuite l’expédition lourde menée par le Français Henri de Ségogne (660 porteurs, 11 tonnes de matériel) en 1936. Mais il faut attendre 1958 pour voir les Américains Andy Kauffman et Pete Schoening se hisser, en premier, sur ce magnifique sommet du Baltoro. 

  • Ascension du Gasherbrum I, en général proposé en combinaison avec le Gasherbrum II - prochaine expédition à confirmer.

 

13. Dhaulagiri, 8 167 m - 13 mai 1960 - Suisse

Mai 1960. Dix ans, presque jour pour jour, après la première reconnaissance au pied de la “Montagne Blanche”, le Dhaulagiri (8 167 m) est sur le point d’être gravi. Septième plus haut sommet de la planète, il est le dernier à résister à ses nombreux prétendants. Ou plus exactement, le dernier accessible au monde occidental. Les alpinistes Autrichiens d’abord et les Suisses enfin, vont résoudre en Himalaya, le dernier grand problème de l’époque. Mais cette fois, la victoire appartiendra autant aux pionniers de l’aviation en montagne, qu’aux alpinistes eux-mêmes. Le pilote Ernst Saxer et l’ingénieur Emil Wick à bord du “Yeti”, le premier Pilatus P-6 à se poser sur les glaciers himalayens, participent tout autant à la victoire que les premiers ascensionnistes à fouler la cime : Kurt Diemberger, Albin Schelbert, Nawang Dorje, Ernst Forrer, Nima Dorje, et enfin Peter Diener.

Dhaulagiri © Sandra Leal
Dhaulagiri © Sandra Leal

 

14. Shishapangma, 8 027 m - 2 mai 1964 - Chine

La course aux quatorze “8 000” connaît officiellement son épilogue. Quatorze petites années séparent la victoire de Maurice Herzog et Louis Lachenal à l’Annapurna I (3 juin 1950) et celle de l’équipe chinoise menée par Xǔ Jìng le 2 mai 1964. Mais une ambiguïté subsiste. Le court récit de l’ascension publié dans l’Alpine Journal, la prestigieuse revue de l’Alpine Club britannique, mentionne l’altitude de 8 013 m pour le sommet atteint. En fait, il s’agit de l’antécime ouest, parfois appelée à tort sommet central, séparée du sommet principal (8 027 m) par une longue arête neigeuse. Doug Scott, célèbre grimpeur himalayiste britannique, sera le premier à émettre des doutes lors de l’expédition de 1982. Après tout, ce sont peut-être les Britanniques les vrais vainqueurs ! Auraient-ils eu le dernier mot de cette saga fabuleuse ?


Shishapangma © Expeditions Unlimited
Shishapangma © Expeditions Unlimited

 

Texte de Didier Mille

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