Lors de notre prochaine expédition au sommet de l’Everest face nord guidée par Bernard Muller au printemps 2021, nous aurons la chance d’avoir comme chef d’expédition népalais (Sirdar) Ngima Nuru Sherpa : un sherpa qui a déjà gravi 22 fois l'Everest. Il est le plus jeune au monde à avoir foulé le toit du monde autant de fois, et le second (après Kami Rita Sherpa, 24 ascensions) à y être allé si souvent. À moins de 40 ans, Nigma est sans aucun doute l’un des sherpas les plus expérimentés de la planète. Rencontre.
De quel village viens-tu et comment s'est passée ton enfance ?
J’ai grandi dans un petit village appelé Theso, près de Thame, où j’ai étudié jusqu’à la 7e année à l'Hillary school : une école construite en 1961 grâce à l'ONG Himalayan Trust fondée par Edmund Hillary. Durant mon enfance, j'avais l'habitude de faire beaucoup d'escalade... À cette époque, je rêvais déjà de devenir alpiniste.
Pourquoi as-tu choisi de travailler comme sherpa sur l'ascension de l'Everest?
Tout petit, je voyais le pied des montagnes depuis le village où je vivais ; j'ai toujours eu l'envie d'aller plus haut dans l'idée d'atteindre un jour l'Everest. Ma famille était déjà plus ou moins dans le domaine de l'alpinisme ; j'ai grandi en voyant à la maison le matériel d'escalade de mon père et mon frère aîné travaillait à l'époque comme sherpa. C'est comme ça que je me suis intéressé à mon tour à l'alpinisme et que j'ai décidé d'en faire mon métier.
Nigma en route pour l'Everest
Qu'as-tu ressenti la première fois que tu as atteint le sommet du toit du monde ?
J'ai commencé à travailler dans le domaine de l'alpinisme en 1999 et j'ai atteint le sommet de l'Everest deux ans plus tard, en 2001. Gravir l'Everest était mon rêve utlime, ce fut l'un des moments les plus heureux de ma vie.
Combien de fois as-tu atteint le sommet de l'Everest ? D'autres ascensions à plus de 8 000 mètres ?
Je suis allé au sommet de l'Everest vingt-deux fois, neuf fois du côté sud et treize fois du côté nord. En plus de cela, j'ai atteint le sommet d'autres montagnes de plus de 8 000 mètres : trois fois le Cho Oyu (8 201 m) et trois fois le Shishapangma (8 027 m). J'ai aussi tenté de gravir le Manaslu (8 156 m) et le Makalu (8 485 m), mais je n'ai pas pu aller jusqu'au bout.
Nigma au sommet du Cho Oyu (8 201 m)
Quel est ton sentiment si un client n'est pas en forme et que vous devez revenir avant d'avoir atteint le sommet ?
En 2018, j'ai participé à la plus grosse expédition à l'Everest,115 personnes au total : clients, chefs d'équipe, médecins, caméramans, sherpas et cuisiniers. Comme nous étions très nombreux, nous avions divisé le groupe en trois sous-groupes. Je guidais le groupe A. Après avoir atteint le sommet avec mon groupe, nous sommes redescendus au camp du col Nord qui se trouve à 7 000 mètres. Le lendemain, l'un des clients de l'équipe B, alors en route vers le sommet, est tombé malade à 8 300 mètres, un oedème pulmonaire dû à l'altitude. Le jour même et sans avoir déjeuné, j'ai donc amené mon équipe au camp de base avancé (6 500 m) et suis directement remonté à 7 500 mètres pour aider à secourir ce client. Nous étions quinze sherpas et l'avons descendu jusqu'au col Nord avec un brancard de fortune et de l'oxygène. À partir de là, nous l'avons porté sur le dos jusqu'au camp de base avancé puis avons pris soin de lui durant toute la nuit avec l'aide du médecin. Le lendemain matin, nous avons utilisé un yack pour descendre au plus vite jusqu'au camp intermédiaire où il a pu recevoir une injection et poursuivre la descente jusqu'au camp de base. Enfin, depuis le camp de base, nous l'avons envoyé, avec notre médecin et en Jeep, jusqu'à la frontière du Népal, où un hélicoptère l'a transféré à l'hôpital de Kathmandu. Ce fut un travail difficile à effectuer à une telle altitude et sur un terrain aussi compliqué.
Évidemment, cela fait mal de ne pas atteindre le sommet alors que la chance ne se présente qu'une fois par an, mais nous travaillons pour nos clients et notre priorité est bien sûr qu'ils restent en vie. En ce qui me concerne, je suis plus heureux de faire demi-tour, car la vie d'une personne est plus importante que d'atteindre le sommet d'une montagne.
Itinéraire de l'ascension de l'Everest
Cette saison printanière a été annulée, quelles expéditions devais-tu réaliser ? Et quelles expéditions prévois-tu cet automne ?
Au printemps, je devais partir pour l'expédition Everest par la face nord avec Expeditions Unlimited, mais elle a été reportée au 10 avril 2021. Quant à cet automne, il n'est pour l'instant pas envisageable d'effectuer des expéditions, étant donné que la situation sanitaire ne permet pas de recevoir des étrangers pour l'instant.
Quel était ton quotidien durant le confinement ?
Pendant ces quatre mois de confinement, tout le monde était libre de faire des choses qu'il n'a pas forcément le temps de faire d'habitude. J'ai donc essayé d'utiliser cette période en effectuant des activités productives, comme par exemple pratiquer des entraînements quotidiens, de la randonnée, passer des moments avec ma famille, partager mon expérience de la montagne avec mes enfants, ou encore leur donner une formation d'alpinisme.
As-tu gravi d'autres montagnes en dehors du Népal ?
Oui, j'ai fait deux fois le sommet du mont Elbrouz (5 642 m) situé en Russie. Il fait partie des Seven Summits (le challenge consistant à atteindre le plus haut sommet de chacun des sept continents).
Quel est ton rêve aujourd'hui ?
Je rêve de gravir d'autres hautes montagnes situées en dehors du Népal. J'aimerais acquérir plus de connaissances sur les conditions météorologiques, l'environnement et les habitats naturels de ces montagnes, car je connais surtout l'Himalaya. J'ai aussi le rêve de visiter, au moins une fois dans ma vie, la Nouvelle-Zélande, berceau de Sir Edmund Hillary.
Quels conseils donnerais-tu à un client se rendant pour la première fois au-dessus de 7 000 mètres jusqu'au sommet de l'Everest ?
Je conseillerais de commencer par des ascensions de moins de 7 000 mètres, comme le Mera Peak et l'Island Peak (6 476 m et 6 180 m). Puis, dans un second temps, de poursuivre avec des sommets plus hauts afin de se familiariser avec l'hypoxie, par exemple l'Himlung Himal (7 126 m) et le Baruntse (7 129 m).