11 octobre 2021Alpinisme, Témoignages, Quatorze 8000
Au sommet du Manaslu

Début septembre, Expeditions Unlimited réalisait sa première expédition au Manaslu, le huitième plus haut sommet de la planète à 8 163 mètres. Une équipe composée de neuf participants, dont le guide de haute montagne français Clément Flouret, entreprenait alors cette ascension en s’appuyant sur une équipe népalaise d’une quinzaine de personnes. Une immersion et une aventure extraordinaire à laquelle a pris part Eric Bonnem, fondateur d'Expeditions Unlimited et Secret Planet. C’est lui qui nous fait vivre cette ascension à travers des images et des textes qu’il nous a  envoyés quotidiennement. Une expédition passionnante et particulièrement humaine.

 

15 septembre

Partis sous la pluie de Samagaon vers 7 heures ce matin, nous avons atteint le camp de base du Manaslu sous la neige ! À peu près cinq heures pour faire les 1 400 mètres de dénivelé. Quel bonheur de rejoindre notre cocon pour les 3,5 prochaines semaines. Notre camp est tout confort, nos tentes individuelles assez spacieuses pour mettre tout notre barda. Nous sommes le camp le plus haut et dominons tout le camp de base depuis notre promontoire (cf. photo). L'intérêt d’être le camp le plus élevé est que nous gagnons une petite demi-heure dans les rotations par rapport à ceux qui sont en bas du camp de base. Nous sommes donc à l’altitude de 4 950 mètres, quand le bas du camp de base est à 4 800 mètres. Test Covid pour l’ensemble de notre camp Expeditions Unlimited cet après-midi et, demain, repos et préparatifs de notre première rotation vers le camp 1. 

 

16 septembre

Il neige sans discontinuer. Première nuit à 5 000 mètres d'altitude, qui s’est bien passée pour l'ensemble de l'équipe. Clément et Dipen sont montés ce matin pour identifier la position du camp 0,5 sur le glacier qui monte au camp 1. Mission accomplie. Cet après-midi, brief oxygène puis brief équipement glacier et quoi emporter pour notre première rotation d'acclimatation demain vers le haut. Ne pas être trop lourd et à la fois ne rien oublier. Le plan est le suivant. Montée sous la neige demain après-midi au camp 0,5 à 5 300 mètres. Nuit sous tente. Samedi, la météo devrait tourner au beau. Montée au camp 1 à 5 600 mètres. Nuit sous tente. Dimanche, montée vers camp 2, à préciser jusqu'où selon notre forme, retour et nuit camp 1. Retour au camp de base lundi. Repos. 

manaslu camp de base

 

17 septembre

Ce matin, c’était la Puja. La cérémonie de bénédiction de notre expédition. Un lama est venu et il a lu le livre tibétain au son d’un petit tambour et de cymbales tibétaines. Comme toujours, dans la bonne humeur avec une touche d’émotion. Des offrandes ont été faites au mont Manaslu. Dans une odeur d’encens et d’autres bois aromatiques. Une douche de riz et de farine pour l’ensemble des participants. Beau bizutage, nous sommes tout blancs. On ne peut que succomber au charme, tant ces traditions sonnent juste, ici, en Himalaya. La neige tombe toujours. Hâte que cela cesse, tout de même, que nous prenions la dimension du paysage grandiose qui nous entoure. Maintenant que la Puja est faite, nous allons pouvoir commencer à monter. Objectif de cet après-midi, un camp intermédiaire avant le camp 1, camp que nous avons baptisé 0,5, vers 5 400 mètres. Départ en début d’après-midi. 

ceremonie puja


18 septembre

Partis du camp de base vers 15 heures, nous avons progressé dans la neige et sommes arrivés au camp 0,5 à près de 5 300 mètres. Eau chaude. Lyophilisé. Etc. Puis dodo. Sommeil pas très profond, mais pas de mal de crâne. Nous montons au camp 1 ce matin. 

Pour la première fois, depuis le début de l’expédition, grand beau au lever ce matin. Notre regard embrasse tout notre itinéraire vers le sommet. Ce matin, nous partons pour le camp 1 à 5 700 mètres. Quelques murs à franchir pour arriver sur le promontoire où nous installons les tentes du camp 1. Bien crevés pour la plupart d’entre nous. Nous dormons deux nuits au camp 1 puis retour au camp de base. L’itinéraire au camp 2 n’est pas encore précisé. Aujourd’hui ou demain probablement. Notre expé semble en avance. Le camp 1 est assez clairsemé.

depart du camp de base

 

19 septembre

Ce matin, nous sommes partis nous acclimater au-dessus du camp 1 vers 6 000 mètres. Météo magnifique, paysages de haute altitude sublimes. De nombreux raidillons bien durs à négocier, lentement. Au-dessus du camp 1 et jusqu’au camp 4 (7 400 m) se présentent quelques passages bien verticaux à monter à la jumar et à descendre en rappel. Quelques embouteillages se profilent en haut ou en bas de ces passages un peu techniques où le souffle est court compte tenu de l’altitude. Un joli petit chien bien local nous tient compagnie au camp 1 et nous accompagnait ce matin. Génial. Il court comme si de rien n’était. 

camp 1 manaslu

 

20 septembre

Nous avons quitté le camp 1 vers 5 750 mètres ce matin vers 8 heures, avec un temps magnifique, et sommes arrivés à 10 heures au camp de base à 4 950 mètres. C’est la première fois que nous voyons le camp de base dégagé. À l’ouest/sud-ouest du camp, le Manaslu et l’itinéraire vers le sommet dans son intégralité. Camp 1 (5 750 m), camp 2 (6 400 m), camp 3 (6 800 m), camp 4 (7 400 m) et sommet secondaire (car le vrai sommet, à 8 163 mètres, n’est pas visible d’ici). Excitation et humilité. Le groupe est en excellente forme globalement et pas trop d’effet de l’altitude à près de 6 000 mètres. Croisons les doigts que cela dure. Nous n’en sommes qu’au début. Jour de repos demain et, normalement, on repart vers le camp 1, 2 puis 3 pour notre seconde rotation d’acclimatation.

Afin de ne pas remonter avec trop de poids, ce qui a été il y a trois jours, nous avons laissé plein de choses au camp 1, inutiles au camp de base ou entre le camp de base et le camp 1 : couchage moins 40 degrés Celsius, veste duvet moins 20 degrés Celsius, matelas, frontales, livre ! Trop plein de nourriture, pelle, sonde avalanche Arva. Bref, quand nous remonterons au camp 1 dans deux jours, nous devrions avoir 8 kilos sur le dos contre 15. Mieux !

camp 1 manaslu

 

21 septembre

Aujourd’hui, journée de repos pour le groupe, quand nos Nepali leaders sont partis vers le camp 2 pour monter des équipements collectifs – et un peu d’individuels – pour nous soulager. Notre expédition a cette originalité que notre équipe de guides, porteurs et cuisiniers est formée de plusieurs ethnies népalaises. Sherpas bien sûr mais également Tamang, Gurung, Rai, Bothe, etc. D’où cette notion de « Nepali leaders » en lieu et place du classique « Sherpas » dont la fonction épouse l’ethnie. Hier, test Covid pour tout le monde, soit une trentaine de tests réalisés en une grosse demi-heure. Merci Alex et ses adjoints Diphen et Pierre. Au top ! Un peu de neige aujourd’hui et Yan (Giezendanner), notre météorologiste bien connu qui nous donne des prévisions correctes pour notre seconde rotation à partir de demain. (Photo prise hier au « crampons point », limite inférieure du glacier où on peut déchausser les crampons et se désencorder).

nepali leaders

 

22 septembre

Nous sommes partis du camp de base vers midi et sommes arrivés au camp 1 entre quatre et cinq heures plus tard, selon les cordées. C’était la première fois que nous faisions l'intégralité d'une seule traite, et ce fut bien fatigant. Une bruine vers le camp de base et une brume en montant vers le camp 1 nous ont accompagnés. Demain, décollage vers 8 heures pour le camp 2 vers 6 400 mètres.

vue sommet manaslu 

 

23 septembre

Nous sommes partis vers 9 heures ce matin du camp 1, les premiers sont arrivés au camp 2 vers 15 heures et les derniers une heure plus tard. Une souffrance pour la plupart d'entre nous. Que du vertical se succède à négocier avec les cuisses et beaucoup à la jumar. Mais c’est l'altitude qui rend ces exercices douloureux, entre 5 700 et 6 400 mètres d'altitude. Malgré l'aide de nos Nepali leaders qui font un boulot exceptionnel, nous portons lourd encore. Nous déposons des charges aux camps 2 et 3. Demain, nous continuons vers le camp 3. Nous dormirons au camp 3. Puis nous retournerons au camp de base, samedi finalement.

camp 1 manaslu tentes

 

24 septembre

Moins ardue qu’hier entre camp 1 (5 750 m) et camp 2 (6 350 m), notre progression entre camp 2 et camp 3 (6 750 m) fut loin d’une promenade de santé et nous a pris un peu moins de trois heures pour les premiers. Plusieurs murs verticaux se sont dressés sur notre chemin. L’altitude nous oblige à progresser très lentement, le moindre effort, comme monter une marche de 30 centimètres, nous essouffle. Le sommet «  secondaire » qui s’offre à nous dans notre progression se rapproche. Le temps est extraordinaire. Pas un souffle de vent. Une mer de nuages à notre altitude. Nuit prochaine importante à presque 7 000 pour notre acclimatation. Retour au camp de base demain. Alors, tous nos murs verticaux en montée vont être bonheurs à descendre en rappel. En montée, camp de base au C3 nous a pris environ quinze heures. À votre avis, combien de temps à la descente ?

camp 3 manaslu

 

25 septembre

Six heures en cumul. C’est donc le temps qu’il nous a fallu pour descendre du camp 3 (6 750 m) au camp de base (4 950 m), contre quinze heures à la montée. Pas mal de brouillard au-dessous du camp 3. Le premier sommet du Manaslu, pour la saison automne 2021, a été réalisé hier par les équipes népalaises et ce matin par les premiers occidentaux. Pour ce qui nous concerne, nous sommes revenus vers 15 heures aujourd’hui sous la pluie au camp de base et allons analyser la météo pour lancer ce que l’on appelle le « summit push ». En théorie, 6 jours CB/CB.

  • Jour 1 : montée C1 et nuit C1 (5 750 m)
  • Jour 2 : montée C2 et nuit C2 (6 350 m)
  • Jour 3 : montée C3 et nuit C3 (6 750 m)
  • Jours 4/5 : montée C4, soirée C4 (7 400 m) puis départ dans la nuit pour le sommet (8 163 m), descente C2 et nuit C2
  • Jour 6 : retour CB

 

Nous avons croisé, en descendant aujourd’hui entre C2 et C1, le Français Jonathan Lamy que nous avons déjà suivi à l’Everest au printemps dernier. Très sympathique, il a fait Everest + Lhotse. Il est grand temps de vous présenter notre équipe locale, extraordinaire : aujourd’hui Dipen, le sirdar de notre expédition. Guide très fort, c’est lui qui gère l’équipe de guides et coordonne les tâches et la logistique (monter les équipements collectifs de camp en camp, comme les tentes, réchauds, oxygène, etc.) avec un autre guide, Dukes. Merci et bravo à eux. Demain, au tour de Dawa, chef d’expédition côté népalais et bras droit particulier de Clément . 

Dipen expedition manaslu


26 septembre

Il a dû faire beau, au-dessous de 5 000 mètres, un à deux jours depuis notre départ, soit depuis plus de trois semaines… Au camp de base, le froid, qui n’est pas si intense (autour de zéro degré), en devient assez désagréable, car très humide. Et rien n’est chauffé, ni nos tentes recouvertes de neige tous les matins ni les tentes mess. Bref, aujourd’hui, comme hier et probablement demain, il « pleige » (contraction perso de pleut-neige). Nos pieds sont gelés. Vivement la remontée… ou la redescente ! Alors... Dawa (cf. photo)... c’est notre chef d’expédition népalais. Il cogère l’expédition avec Clément. Il a toutes les qualités requises : la rondeur pour mener l’équipe népalaise, les qualités techniques exceptionnelles, l’aisance physique à n’importe quelle altitude, une disponibilité à toute épreuve, l’anticipation de tous nos problèmes grâce à son expérience. Guide UIAGM, il a fait plusieurs saisons et ascensions en Suisse. Et à part ça, 7 fois l’Everest par le nord et le sud, 2 fois le Manaslu, l’Ama Dablam qu’il a équipé jusqu’au sommet, le Denali, etc. Quel atout de l’avoir avec nous. Présentation des sept autres héros demain ainsi que du programme des prochains jours qui se précise…

 

27 septembre

Comme je me suis bassement plaint hier de la météo du camp de base, il faisait un temps magnifique en nous levant ce matin. Amen. Ça y est, les binômes pour le  « summit push » ont été constitués. Chaque membre de l’expédition sera avec un Nepali leader à partir du camp 3. Donc, neuf fois deux, dix-huit personnes. Une équipe incroyable. Dawa et Dipen, que je vous ai déjà présentés. Et puis, il y a Karma, Pasang, Suzan, Sajjan, Dukchung, Guru et Sonam. À eux neuf, ils représentent 16 Everest, 3 Manaslu, 4 Makalu, 1 Cho Oyu, nombre d'Ama Dablam et autres 7 000. 

Alors alors ? Nous partons demain. Objectif, tentative sommitale le vendredi 1er octobre dans la matinée. Donc demain, direct camp 2 de 5 000 à 6 400 mètres (grosse journée), mercredi, camp 3 à 6 800 mètres (journée light), jeudi, camp 4 à 7 400 mètres (l’inconnue), quelques heures de repos, puis tentative sommitale (encore plus l’inconnue à plus de 8 000 mètres) dans la nuit de jeudi à vendredi, et retour camp 2. Samedi, retour camp de base.  

Le groupe est bien concentré et toujours aussi sympathique. Cross fingers les amis. Des news soon !

groupe manaslu 2021

 

28 septembre

Quand nous nous sommes réveillés ce matin, prêts à partir, ce n’était pas trop la joie du côté de nos Nepali leaders. Plusieurs d'entre eux ont des problèmes gastriques. Nous avons donc logiquement décidé de décaler notre « summit push » d'une journée. La fenêtre météo semble nous le permettre. Jusque-là, nous avions mené nos plans tambour battant et avions même pas mal d'avance sur notre calendrier. Mais bon, c’est certain, c’est toujours un peu frustrant, d’autant plus que nous avions préparé nos esprits à ce départ, avec l'excitation et l'angoisse que génère ce type d'aventure. Allez, une journée au camp de base, ce n'est pas si désagréable ici ! La nourriture est excellente et diversifiée. Le cook et ses aides sont géniaux. Un peu de lecture, de podcasts, de belote, et la journée sera vite passée.

manaslu summit push

 

29 septembre

Aujourd'hui, nous sommes montés directement du camp de base à 5 000 au camp 2 à 6 400. Pour ma part, je suis arrivé dans la nuit, accompagné du phénoménal Dipen qui ne m'a pas lâché d'une semelle ! Mais la météo était parfaite. Les crevasses commencent à s'élargir. La dernière sur le chemin de C3 était infranchissable. J'ai donc du emprunter le ressaut vertical qu'elle permettait jusque là d'éviter. Une grosse dizaine de mètres d'escalade de glace qui ne posa pas de problème, même de nuit. En photo, Dipen et moi.

manaslu 6400m

 

30 septembre

Ce matin, nous partons pour le camp 3. Relativement court mais un itinéraire C2 C3 bien rude tout de même à cette altitude. Supérieur à l’altitude du camp de base et du camp 1 (5 800), le temps est sublime au-dessus de la mer de nuages. Au camp 3, là où nous sommes ce soir à 6 800 mètres, nous ne sommes plus beaucoup d’équipes. La montagne est pour nous ! Il y a un Russe avec les jambes amputées. On était derrière lui sur un mur vertical… Quel courage ! Nous sommes arrivés ici en trois heures. Demain, nous partons donc pour le camp 4 à 7 400 mètres, tôt à l’aube. Journée là-haut, puis tentative sommet dans la nuit de vendredi à samedi. Retour vers camp 3 en milieu de journée, puis camp 2 pour récupérer au fur et à mesure nos affaires laissées en dépôt.

 

1er octobre

Nous partons vers 8 heures du camp 3 pour la montée au camp 4 (7 400m). Un peu de fébrilité car nous allons reconnaitre cet itinéraire pour la première fois. La théorie veut que c'est assez débonnaire avec un dernier ressaut bien vertical pour atteindre le plateau sommital. En fait, si rien ne fut vertical, tout fut bien raide du début à la fin, avec un enneigement qui s'accumule petit à petit et qui ralentit encore le rythme du groupe, d'autant que nous sommes désormais à 7 000 mètres. Tout le groupe a décidé d’atteindre le camp 4 sans Ox. Pour ma part, j’ai pris une bouteille au cas où. Mon objectif reste d’accompagner le groupe le plus haut possible et de vivre au plus près et au plus lucide cette incroyable aventure. Je veux également tester ce dispositif dont j'entends parler depuis si longtemps. Je suis un peu claustrophobe et l’idée de progresser avec un masque sur le nez et la bouche m’angoisse quelque peu. Je ne veux pas découvrir tout cela de nuit lors de l'assaut sommital. Lesté donc de mes 4 kilos de bouteille pleine, je pars du camp 3 avec un handicap de poids… Le masque ne se place pas bien, j’ai du mal à respirer. Réglé à 0,5 l / minute, le plus bas débit, je n’y trouve aucun avantage et le retire. Nous avançon lentement. 7 heures que nous sommes partis. Régulièrement, je remets mon masque pour tester la différence… que je ne perçois pas. Je mets le débit à 1 litre / minutes (le max est 4 litres / minute). Pourtant, j’avance plus vite que certains de mes camarades qui jusque là, ont toujours fait la course devant.

En gros, sur neuf heures de montée, j'arriverai une demi-heure avant certains qui arrivaient généralement en moyenne une demi-heure avant moi sur les étapes précédentes. On peut donc considérer, tout choses égales par ailleurs, qu'à 7 000 mètres d'altitude avec un débit d'Ox de 0,5-1 l / mn, on gagne 1 heure sur 9 heures, soit un peu plus de 10% de vitesse par rapport aux personnes sans Ox. Est-ce que c’est dans l’effort (quand je fais un pas) ou dans la récupération (à l’arrêt entre plusieurs pas), je ne saurais le dire ? Certainement les deux. Nous arrivons finalement vers 17 heures au camp 4. Il ne reste plus qu’une demi-douzaine de tentes : les nôtres et celles des Russes. Les autres expéditions ont déserté les lieux, nous sommes donc pratiquement les seuls sur place. Maintenant repos. Tout va se jouer dans les prochaines heures. Nous nous reposons à trois dans notre VE25. Eau chaude, essayer d’avaler quelque chose. Nous repartons vers minuit pour le sommet. Le groupe semble aller super bien. Pas de MAM, pas de maux de tête pour la plupart d’entre nous. Malgré les recommandations de Dawa, me sentant très bien, j’ai arrêté l’Ox. Vu le débit faible auquel j’étais, vu que nous ne bougeons pas pour l'instant, je n’en sens tout simplement pas l’utilité. Et tout se passe bien.

camp 4 manaslu

 

2 octobre

Minuit, branle-bas de combat, nous sommençons à nous équiper. Yan m'a envoyé dans la soirée quelques mises à jour météo. Un peu de neige prévu, léger. Tous les voyants sont au vert. Il n'est pas question de rester 24 heures de plus à cette altitude de toutes les façons. Il nous faut une heure pour nous équiper et c'est donc à une heure du matin que démarre notre file indienne, sorte de ver luisant du fait de nos frontales ! J'ai mis mon masque et porte ma bouteille d'Ox dans mon sac. Je règle le débit à 1,5 litres puis 2 litres / minute pour avaler le gaz à grosses goulées, pour sentir son effet se diffuser. Peine perdue, je ne sens pas grand chose de plus si ce n'est ma gorge qui s’assèche au point de créer un point de douleur de type trachéïte. Très désagréable. Et j'ai de plus en plus soif, soif que l'eau n'étanche pas... Je noterai d'ailleurs que le système d'Ox russe propose un petit flacon de liquide incolore, de l'eau j'imagine (!), intégré près du masque, qui doit permettre d'humidifier le système... À étudier. Jérôme et Patrick ont également démarré l'Ox à partir du camp 4. L'ensemble de nos Nepali leaders prennent de l'Ox pour des raisons de sécurité. Ils pourraient tous monter sans, j'en suis convaincu. Pascal, Alexandra et Pierre vont tenter de monter le plus haut possible sans Ox. L'avantage de la nuit est que l'on perd la notion du temps. Pas d'anticipation. On vit l'effort dans l'instant. Les heures s'égrennent plus vite. Nos regards sont tournés vers le point d'éclairage de nos frontales. De temps en temps, un check vers le haut, espérant la fin d'une pente dans les étoiles qui signifierait la fin de l'effort vers le ciel. Le regard se pose également sur l'horizon, guêtant un point lumineux qui signifierait la fin de la nuit et donc par conséquence, l'approche du point de rendez-vous avec l'histoire, notre histoire. Il neige effectivement mais la visibilité reste correcte. Il n'y aura pas de lever de soleil tonitruant mais plutôt la transition vers une lumière grise et blafarde. Mieux que rien. Pierre fait demi-tour vers 7 600 mètres, un nouveau record personnel, et redescend seul au C4, permettant à son binôme népalais de garder ses chances de monter au sommet. La grande classe. Exténuée, Alexandra décide de prendre de l'Ox vers 7 800 mètres, superbe performance tout de même. Pascal, le surdoué du groupe, continue sans Ox au même rythme que les autres, ce qui ne laisse pas d'impressionner tout le monde. Nos neuf Nepali leaders sont là également, pour la plupart chacun en cordée avec un membre du groupe. Pour ma part, mes sens sont incroyablement aiguisés, comme j'en rêvais depuis le début de l'aventure, je ressens tout... l'environnement, la situation de mes compagnons, l'état d'esprit de nos Nepali leaders... Et en théorie, le sommet approche.

Quelques passages plus raides attendus et au moment où le jour point, nous entamons une pente régulière, assez large, un peu comme un tremplin à ski. Sonam et Jérôme qui sont devant moi commencent à se décaler vers la gauche.

Nous les suivons. Six heures que nous sommes partis, il doit être 7 heures et, alors qu'il semble que nous avons 200 mètres à faire, il nous faudra 1 heure et demie pour atteindre les petits monticules de neiges successifs qui marquent l'arrivée au sommet. Une premier volée de drapeau tibétain presque à la fin de la montée nous accueille, probablement un point d'attente, car la suite va être de plus en plus étroite...

Étant seuls, les Russes sont au moins 2 heures derrière, nous continuons avec excitation. Nous débouchons alors sur une corniche sommitale avec 5 ou 6 petites bosses qui se succèdent et que nous laissons sur notre droite. Le passage sur la corniche est impressionnant mais ne pose aucun problème technique. Et nous arrivons enfin au sommet du Manaslu matérialisé par des drapeaux accolés à une des bosses. Nous sommes quatorze au sommet ! C'est incroyable ! Une émotion évidente m'étreint. Et puis il y a une forme d'évidence à être ici avec une telle équipe, avec un tel groupe, soudé jusqu'au bout, avec ce que nous avons enduré. Nous l'avons tellement rêvé.  De là où nous sommes, deux autres bosses reliées par une arête non stabilisée et non équipée semblent finir la corniche et l'arête sommitale. Pascal a atteint le sommet sans oxygène, formidable performance. Il nous aura donc fallu environ 7 heures pour réaliser cette dernière étape.

sommet manaslu

 

Message de Secret Planet du 02/10/21 : Nous avons eu des nouvelles du groupe : Éric, Jérôme, Pascal, Alexandra et Patrick, ainsi que Dipen Nappa Bhote, Dawa Bhote, Sujan Gurung, Chhetar Sherpa, Sajjan Ghale, Karma Sherpa, Pasang Anjuk Bhote et Guru Bhote ont bien atteint le sommet du Manaslu ce matin. Bravo à eux pour cette réussite !!  Plus d’informations et d’images bientôt.

L'heure de la descente a sonné, il doit être 9h30. Nous croisons nos amis russes qui attendent plus bas que nous ayons déserté les lieux pour monter sur la corniche. La descente dans une neige assez lourde et peu tracée va nous prendre moins de 3 heures. Arrivés au camp 4, tout le monde est assez lessivé et il faudra la force de conviction de Dawa pour remettre tout le monde dans la direction du camp 3 (6 800 m), limite acceptable pour passer une nuit en sécurité, personne du groupe n'ayant jamais ressenti le mal des montagnes à cette altitude. Nous nous mettons en route vers 14 heures. Descente laborieuse compte tenu de l'itinéraire et de nos corps fatigués. La plupart de nos Nepali leaders vont désinstaller le camp 4 avant de nous rejoindre. La visibilité est exécrable en partant du camp 4, on n'y voit pas à 20 mètres et compte tenu de ce qui nous entoure, il faut toute la maîtrise de Dawa et la confiance que nous mettons en lui pour avancer dans cette purée de pois. Puis au-dessous de 7 200 mètres, le temps passe au beau et se découvre alors le chemin qu'il nous reste à parcourir. Pas mal de neige tout de même. Sans y paraître, elle commence à bien s'accumuler et il n'en faudrait pas beaucoup plus pour que les pentes que nous scrutons avec attention, ne commencent à être véritablement trop chargées. En attendant, avec la chaleur de la journée, elle est bien humide, achevant de nous exténuer. Je n'ai pas noté notre heure d'arrivée au camp 3, probablement vers 17 heures. Bonne nuit à 6 800 mètres en perspective ! Incroyable comme nos corps se sont adaptés au bout de 4 semaines d'acclimatation progressive. Le travail réalisé avec l'Ifremmont depuis plusieurs années a porté ses fruits.

Manaslu expeditions unlimites

 

3 octobre

Rester concentrés malgré l'euphorie qui règne. La descente entre le Camp 3 et camp 1 reste le noeud technique de l'ascension même si à la descente, les rappels n'ont rien à voir en termes d'effort avec les montées verticales laborieuses.

Et à la fois, ils sont bien plus risqués. Nos jambes nous portent un peu plus mécaniquement. Les crevasses s'élagissent partout mais restent passables.

Nous sommes absolument seuls sur notre Manaslu (avec les Russes!).

La fin de la descente ne pose pas de problème. Je prends mon temps et profite de ces derniers instants. Récupération du matériel laissé au camp 3 puis camp 2 puis camp 1... Nos sacs s'alourdissent mais la charge ne nous pèse plus trop... et puis c'est en descente.

Arrivée au "Crampons point" accueillis par du jus de fruit monté du camp de base par l'équipe de cuisine. La fin est proche. Tout le monde est en bonne santé. C'est l'essentiel. Depuis vendredi matin, nous avons donc grimpé vingt-sept heures, principalement entre 6 800 et 8 000 mètres.

 

4 octobre

Redescente (interminable !) au village de Samagaon. Je ne reconnais rien du paysage et de l'itinéraire, très étonnant ! Ce séjour en haute altitude semble avoir nettoyé tous les souvenirs de la vallée. Nous sommes parmi les derniers à quitter le camp de base. De nombreux porteurs de la vallée sont montés prêter main forte aux dernières équipes présentes. Va-et-vient de femmes surtout, qui portent des frigidaires, des radiateurs, des charges invraisemblables sur leur dos. Je suis gêné avec mes 15 kilos de sac à dos. Je m'étale sur les fesses à l'approche d'un passage à gué. Rien de cassé. " Bistārai " me disent-elle en coeur - Doucement. Quel peuple incroyablement attentionné et attachant.

Arrivée en fin d'après-midi au village. Ce soir, ce fût la fête avec l'équipe au lodge Manaslu à Samagaon. Toute l’expédition était présente et ce fut une formidable fête avec un bon gâteau dont nous avons soufflé les bougies et de la bière, heureusement pas trop forte, qui a coulé à flot. Nos amis russes étaient également présents au lodge... Bien plus discrets que nous !

Nous reviendrons plus en détails sur nos aventures au Manaslu. En attendant, un grand merci à David Ducoin de Secret Planet et sa préparation au millimètre de l’expédition. Un grand merci à Bishal Rai pour sa gentillesse et son efficacité. Il a monté pour nous une équipe de haut niveau et a tout organisé de main de maître. Merci à Yan Giezendanner pour ses prévisions météo de grande qualité et son intelligence des situations de haute altitude.

Pour terminer, et c’est ma grande fierté, nous ne fûmes pas une expédition de plus sur cette grande montagne, nous fûmes un groupe d’une vingtaine de personnes extraordinairement soudées et heureuses d’être ensemble. Alors, si le succès vient en plus…

 

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