Le 29 mai 2023, la communauté des alpinistes et peut-être au-delà, fêtera les 70 ans de la première ascension de l’Everest par Tenzing Norgay et Edmund Hillary. À l’occasion de cet anniversaire, nous avons donné carte blanche à notre ami Jean-Michel Asselin, journaliste et écrivain qui a tenté l'ascension du toit du monde à cinq reprises. Avec sa plume aguerrie il nous propose un retour en 1953, afin de revivre cet exploit qui marqua à jamais l'histoire de l'Himalayisme.
Mont Everest, le plus haut sommet de la planète
John Hunt était un militaire, un vrai, et s’il avait été choisi, plutôt que Eric Shipton pour conduire l’expédition britannique au sommet du « toit du monde », c’était parce que Hunt concevait cette ascension comme une bataille. Shipton, lui, y voyait plutôt l’expression d’un amour immodéré. L’ascension de 1953 n’arrivait pas « par hasard », elle était le fruit d’une histoire que les Britanniques avaient écrite dès 1875, quand l’organisme chargé de cartographier l’Himalaya s’était approprié un certain pic XV. Un mathématicien indien, Radhanath Sikdar, avait découvert une altitude (8 846 m) qui le plaçait au sommet de toutes les montagnes, et Andrew Waugh, grand manitou du fameux « Survey of India » avait choisi de donner à cette cime de l’absolu le nom d’Everest, ni plus moins que le nom de son prédécesseur.
Une reconnaissance légèrement ambitieuse que le dénommé George Everest avait jugé « déplacée », songeant que ni les Tibétains, ni les Népalais ne sauraient prononcer un tel nom. Si cet homme, qui n’eut jamais le loisir de voir « sa » montagne, pouvait voir le succès de son patronyme aujourd’hui ! Il eut pourtant suffi aux cartographes de lire quelques cartes établies des siècles auparavant par des lettrés chinois pour voir qu’une montagne, située là où l’on avait identifié le pic XV, se nommait Chomolungma : « la déesse la plus haute, la déesse mère des vents ! ».
George Everest
Pour se lancer à la conquête de ce troisième pôle, on commença par la politique. Inquiets du rapprochement des autorités tibétaines avec la Russie, l’Empire anglais s’autorisa une petite guerre (des centaines de morts côté tibétain tout de même !). Elle fut menée en septembre 1904 et permit l’installation d’une relation exclusive anglo-tibétaine, sous forme d’un comptoir commercial dans la ville sainte de Lhassa. Du coup, dès 1921, les Anglais, obtinrent l’autorisation de gravir Chomolungma. La suite on la connait… Mais comment ne pas noter qu’en 1924 deux alpinistes, Mallory et Irvine, disparurent proches du sommet, sans qu’on sache encore aujourd’hui s’ils l'ont ou non atteint ! Ainsi va la vie, il faudra quelques générations pour que l’on passe des vestes de tweed, des cailles en gelée, et des bandes molletières aux vestes duvet et aux plats lyophilisés.
1953 : une fenêtre d'ascension serrée
Quand l’histoire frappe à la porte du Népal en 1953, les Français ont donné le ton en devenant les héros d’un premier sommet de plus de 8000 mètres : l’Annapurna en 1950. L’Everest n’est « offert » aux Anglais qu’en 1953 et Dieu sait s’ils ont eu chaud ! En 1952, les Suisses ont en effet failli voler leur montagne. La chance n’a pas souri à Tenzing Norgay (qui vivait sa cinquième expédition sur la montagne) et au guide Raymond Lambert. Ils ont dû renoncer à 8 600 mètres. Oui, en 1953, alors que l’on prépare les festivités du couronnement de la jeune reine Elizabeth II, il ne peut être question d’échec
Hunt (Baron Hunt de Llanfair Waterdine !) a réuni une équipe de choc, il a puisé dans tout le Commonwealth et ses grimpeurs constituent un casting de rêve : Alfred Gregory (agent de voyage), Tom Bourdillon (bricoleur de génie), Charles Evans (chirurgien), George Lowe (instituteur), Edmund Hillary (apiculteur), et encore Mike Westmacott et Georges Band (tous deux présidents de club d’escalade), Charles Wylie (officier gurkha rescapé des geôles japonaises, Wilfrid Noyce (écrivain), Tom Stobart (cinéaste), James Morris (journaliste), Griffith Pugh (physiologiste) et Michael Ward (médecin). L’équipe est complétée par Tenzing Norgay, le Sherpa le plus expérimenté de l’Everest et qui est cette fois embauché comme alpiniste à part entière.
L'équipe britannique en 1953
Le 26 mai, une cordée composée de Bourdillon et Evans s’élance vers le sommet, avec des bouteilles d’oxygène en circuit fermée mis au point par Bourdillon. À 13 heures, les deux hommes sont sur un sommet, mais ce n’est que le sommet sud de l’Everest à 8750 mètres. Devant eux, une arête ourlée de corniche et barrée d’un ressaut où affleurent quelques rochers. Ils sont épuisés et Evans a un problème avec son oxygène. Bourdillon descend en contrebas du sommet, observe la suite et sait très vite qu’il n’aura pas la force de franchir ce dernier obstacle. À cette heure, ils sont tous deux les recordmen de l’altitude ! Renonçant à leur rêve, la descente est très dure et les amis du col sud accueillent des sortes de naufragés déçus. Le 28 mai, Lowe, Gregory et Ang Nyima partent du col sud à 8 h 45, ils portent chacun 18 kilos de matériel. Vers 10 heures, la deuxième cordée d’assaut composée de Hillary et Tenzing les suit presque aussi chargée... À 13 h 30, vers 8 500 mètres, les cinq grimpeurs trouvent une plateforme qui permet d’installer une tente. Lowe, Gregory et Nyima redescendent. Hillary et Tenzing mettent près de 3 heures à s’installer. Tenzing, à son habitude, prépare la cuisine, au menu soupe de poulet, pâtes, sardines, dattes et abricots au sirop. Ils sirotent de temps à autre de l’oxygène et ingurgitent de l’eau citronnée.
Tenzing Norgay et Edmond Hillary
29 mai 1953 : le sommet de l'Everest est atteint à 11h30
La nuit est un peu agitée, mais le 29 mai, à 6 h 30, ils sortent de leur tente bien emmitouflés dans leurs combinaisons garnies de duvet d’oie. À 9 heures ils sont au sommet sud. Déterminés, ils avancent sur l’arête qui les mène au pied d’un ressaut rocheux d’une douzaine de mètres. Hillary se glisse entre le rocher et la glace et surmonte l’obstacle. Les deux alpinistes progressent maintenant presque côte à côte. Et puis l’arête s’arrondit, plus de pente… C’est le sommet ! Enfin. Il est exactement 11 h 30. Émus, les deux hommes se congratulent, Hillary photographie Tenzing qui brandit son piolet. Il n’ y aura pas de photo d’Hillary, ce dernier ayant jugé que le sommet de l’Everest n’était pas l’endroit idéal pour donner un cours de prise de vue à Tenzing.
Chacun dépose une offrande : du chocolat et un crayon (donné par sa fille) pour Tenzing, un crucifix confié par Hunt et un petit chat en tissu noir pour Hillary. Puis, prosaïquement, les deux hommes pissent de concert (ce que révèlera Hillary 40 ans plus tard !). À tout hasard Hillary effectue quelques pas vers le nord pour constater qu’il n’y a aucune trace de Mallory et Irvine. La descente se fait sans trop de problème et lorsque près du col sud Lowe accueille Hillary, ce dernier dans un grand sourire lâche : « On l’a eu ce salaud ! ».
Jour du couronnement de la reine Elizabeth
La nouvelle de l’exploit parviendra aux oreilles de la reine pour son couronnement. Pouvait-il y avoir un présage plus heureux ? Au fait, quelle était la teneur du message rédigé par James Morris, envoyé spécial du Times ? Le télégramme était ainsi rédigé : « Mauvaises conditions de neige–stop–Camp de base avancé abandonné–stop– attendons amélioration »… Et oui ! un vrai message codé pour que leTimes soit certain de l’exclusivité de l’information délivrée à Elizabeth II. Ainsi commence (ou se termine) la folle histoire de l’ascension de l’Everest qui compte à ce jour près de 11 000 ascensions réussies, dont une bonne moitié par des Sherpas. Alors, si vous voulez être le onze mille sept cent trente-quatrième summiter, vous savez ce qu' il vous reste à faire ! Bonne chance.
Rejoignez la prochaine ascension de l'Everest par le versant sud népalais ou par la voie tibétaine.
Découvrir les ouvrages de Jean-Michel Asselin :
- Toit du monde, éditions Aspect
- Nil, sauve toi !, éditions Glénat
- Un mensonge à l'Everest, éditions Glénat
- Chronique himalayenne, éditions Glénat
- Nouvelles chroniques des hauteurs, éditions Glénat
- On ne vit pas au sommet, éditions du trésor
- L'éveil et l'absence, éditions de Belledonne
- Mensonge à l'Everest, éditions Glénat
- Une histoire de l'Everest, éditions Glénat